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drames domestiques. L’auteur s’est interdit toute scène à grand spectacle, toute peinture directe du combat, tout ce qu’elle n’a pas vu et observé elle-même. C’est la guerre sentie et soufferte à l’arrière, non plus sur le devant du théâtre, mais dans les profondeurs et les entrailles du pays : la guerre sans histoire, sans gloire, sans spectateurs, la guerre sans les beautés et l’ivresse de la guerre, faite du terre-à-terre quotidien de la vie.

Dans ces conditions, le milieu où l’auteur a placé son récit est très habilement choisi. On a vue à la fois sur la ville et les champs, sur le peuple et la bourgeoisie. Les allées et venues en chemin de fer entre le village et Berlin fournissent, quand il en est besoin, l’opinion populaire et comme les voix du chœur. Enfin, pour donner quelque mouvement à ce monde un peu étroit, l’auteur a imaginé d’y introduire un nouvel élément. Mme Bertholdi, se sentant un peu seule, fera venir chez elle une petite cousine, Annemarie de Lossberg, pour lui tenir compagnie ; et cette jeune fille va devenir un des ressorts essentiels du roman. Avec son frère, le beau Jochen, elle mettra dans toute cette bourgeoisie berlinoise un peu de sa gaité et de son entrain rhénans, son rire et sa joie de vivre de blonde de la Lahn. Elle épousera ce gamin de Rudolf Bertholdi, qui s’éprend d’elle en coup de foudre à sa première permission et se marie tambour battant, tandis que Lili Rossi, redevenue une bonne patriote allemande, se France à l’autre fils Bertholdi, le célèbre aviateur. Et ce double mariage de guerre, — précédé ou suivi de veuvages symétriques (on se rappelle que Lili est veuve quand le livre commence, et Annemarie le devient au début du second volume), — forme le canevas « romanesque » de l’ouvrage.

Mais ce n’en est là que le squelette, la part d’invention qui-sert de prétexte au récit ; je doute que l’auteur attache à cette fable une extrême importance. L’essentiel est ailleurs. On l’a vu : tous les personnages du roman sont des femmes ; les hommes sont « là-bas, » au front ; ils ne reviennent à la maison qu’un instant entre deux batailles ; ils apparaissent et disparaissent, et ce n’est pas la moindre originalité de Mme Viebig que ce tableau de la guerre où l’on ne voit en scène presque tout le temps que des femmes. Dans un de ses livres les plus célèbres, Village de femmes, l’auteur avait déjà décrit cette chasse à l’homme, cette course éternelle au bonheur par