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l’amour. Elle reprend ce thème dans son nouveau roman, et il faut convenir que cette vision d’un monde de femmes, ce grand bouquet de tendresses qui se flétrissent et se fanent sans avoir été respirées, forme une des images les plus pathétiques de la guerre, infiniment plus émouvante que tant de descriptions d’une attaque à la baïonnette ou d’un duel d’artillerie. Quelle figure évoque la guerre dans son antiquité sauvage mieux que le chœur des Troyennes ou que la triste Andromaque ?

En plaçant ainsi son sujet dans le cœur des femmes, en prenant pour miroir de la guerre l’âme féminine, Mme Viebig fait assez voir ce qu’elle pense de la guerre exécrable aux mères.. C’est une justice, à lui rendre que son livre est écrit sans haine ; on n’y trouve rien d’injurieux à l’adresse de l’ennemi. Lorsque le roman s’ouvre, la guerre dure déjà depuis un an ; les jours de l’enthousiasme et du délire patriotique sont passés depuis longtemps ; les victoires n’éveillent plus qu’une déception lassée. L’esprit qui domine le livre n’est pas la gloire, mais la pitié. Non que Mme Viebig soit un écrivain pacifiste. Elle a trop le don de l’artiste et du grand romancier, le don de sympathie pour tout ce qui est de la vie. Elle dessine avec bonheur de mâles types d’officiers. Lorsqu’elle peint le beau Lossberg, l’amant de la juive Kathinka, elle ne peut s’empêcher de voir et de faire admirer en lui un superbe exemplaire d’homme. Le récit de sa mort à Villers-Bretonneux, fait par sa maîtresse à la mère, la veuve du colonel, dans la petite maison de l’ancien officier en retraite, devant la vieille femme obstinée qui se révolte à l’idée de parler à une Juive et qui ne veut pas comprendre que son fils a été écrasé sous le nombre et qui répète : « Lâches ! lâches ! » est un des beaux morceaux du livre.

Mais, excepté ce vieil oiseau d’une espèce disparue, avec ses vieux bijoux de 1er  de la guerre sainte de 1813, les Allemandes de Mme Viebig ne sont nullement des Walkyries : elles n’ont rien des Amazones qui excitent les hommes au combat, ni de la femme de Nietzsche, plaisir et délassement faciles du guerrier. « Filles d’Hécube, » le lot de ces victimes est de souffrir toutes les formes de l’antique souffrance.

Femmes, filles, sœurs, fiancées, veuves d’un mari ou d’un amant, et les plus désolées de toutes, mères que la grande « mangeuse d’hommes » a dépouillées de leur espérance, leur