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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/358

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Ce principe de liberté, ajoute le rapporteur, n’est pas seulement inscrit dans la Constitution, mais gravé bien plus fortement encore dans le cœur de la nation. Et il rappelle les assemblées primaires, les assemblées électorales, le vœu si pressant, si unanime des populations rurales, des populations urbaines elles-mêmes, il continue : « C’est humanité d’obtempérer aux supplications de tant d’âmes simples et droites qui puisent dans la religion leur meilleure espérance. C’est sagesse aussi ; car l’expérience enseigne que la religion est la meilleure gardienne des bonnes mœurs et de la vertu. C’est pareillement politique clairvoyante : qu’a produit en effet la persécution ? la guerre civile, la Vendée. »

Camille Jordan se garde de toute revendication exclusive. Moitié par générosité naturelle, moitié par habile ménagement pour les amis douteux ou tièdes, il prend soin d’élargir si bien son programme que tous, sauf les plus intraitables des sectaires, y pourront souscrire. Consolidons, dit-il, la paix civile en établissant la paix religieuse : catholiques, protestants, assermentés, insermentés, que tous se reposent dans la liberté. Sur cette idée, il insiste avec une sagesse avisée : nul salaire, nulle privauté, nul privilège, mais pour tous le droit commun. Cependant, sa belle âme chrétienne s’attristerait, s’indignerait même que la tolérance fut le résultat de l’indifférence et du mépris. Il comprendrait mal qu’on soutint la religion d’une main dédaigneuse, qu’on la laissât vivre à la manière d’un débris qu’il faut laisser se décomposer et s’anéantir de lui-même. La vision dont ses yeux sont remplis est une vision, non de décadence, mais de résurrection. Et pour le bien de la société religieuse, pour le bien de la société civile, il veut la seule liberté qui soit digne de l’une et de l’autre, celle qui est fondée sur l’équité.

Ainsi parle-t-il, à la fois prudent et hardi, guidant et retenant sa pensée. L’assemblée écoutait, attentive, un peu étonnée, tant de sincérité déconcertant les murmures. Et je ne m’excuse pas d’analyser longuement ce rapport, tant il est suggestif ! Je ne crois pas que, dans le passé, on eût entendu pareil langage. Dans les temps qui suivront, il me semble percevoir une voix qui ressemble à celle-là ; tel se montrera, en ses premiers discours, Montalembert, de même jeunesse, de même désintéressement, de même pureté dans les intentions et dans les désirs, éloquent lui aussi, beaucoup plus éloquent même, lui aussi