Avec un dépit non dissimulé, le Directoire avait accueilli le résultat des élections. Sa mauvaise humeur s’était accrue quand il avait vu la nouvelle majorité affirmer ses tendances par le choix de son bureau, le dépôt de ses projets, la formation de ses commissions. Le rappel des lois antireligieuses avait surtout exaspéré ; car, aux yeux de Barras, de La Révellière, de Reubell, l’ennemi irréductible, c’était, par-dessus tout, le fanatisme.
Au Directoire, il importait, en prévision d’un conflit, de s’assurer des alliés. On en chercha en bas. On en chercha pareillement en haut.
En bas, il y avait les survivants des jacobins. On les avait pourchassés : on se mit à les caresser. Les plus farouches se dérobèrent. Sous l’appât des promesses, d’autres s’humanisèrent ; et dans les rues de Paris, on vit reparaître, osés jusqu’à la provocation, quelques-uns des plus compromis parmi les terroristes.
Tel fut le travail pratiqué en bas. En haut, le même souci de se consolider inspira des menées tout inverses. Les députés opposés à la politique directoriale avaient pris l’habitude de se réunir rue de Clichy pour y concerter leurs desseins. Le Directoire entreprit de grouper, lui aussi, ses amis. A Paris s’était fixé, depuis deux années, un jeune Suisse très dépourvu des dons extérieurs, mais de maturité précoce, riche d’observations et d’études, étincelant de malice, et d’un prodigieux agrément de conversation. Par ses ancêtres, il se rattachait à la France, et on l’appelait Benjamin Constant de Rebecque. L’amitié de Mme de Staël, protestante comme lui, originaire de Genève comme il l’était de Lausanne, passionnée comme lui pour toutes les jouissances de l’esprit, lui avait épargné les longueurs du stage et l’avait introduit de plain pied dans la société parisienne. Soit qu’il crût habile de s’attacher en ambitieux à la fortune du Directoire, soit que vraiment les tendances de la nouvelle majorité lui parussent menaçantes pour le progrès, il avait pris parti contre les Conseils. Il s’était particulièrement attaché à Barras. Celui-ci, fort insensible au charme de l’esprit, le goûtait peu : « Benjamin Constant, disait-il, a toute la niaiserie des jeunes penseurs. » Cependant, ce niais parut bon à utiliser. Sous ses