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auspices et grâce à ses actives démarches, un club, ou plutôt une sorte de cercle, fut formé qui prit le nom de l’hôtel où il s’établit et qu’on appela le club de Salm. Au milieu de l’été, il comptait six cents adhérents : c’étaient des amis du Directoire, des jacobins assagis, puis quelques libéraux de 1789 qui, après une longue période d’obscurité silencieuse, avaient reparu, et que les Conseils avaient eu le tort de négliger. L’objet principal serait de dénoncer par brochures et pamphlets la réaction grandissante, puis de créer en divers lieux des associations similaires. De ce cercle, Talleyrand fut la décoration, tandis que Mme de Staël, très fourvoyée en cette aventure, s’efforça d’en être l’Egérie. Pour la besogne matérielle, le Directoire aurait les terroristes ressuscités et bien plus encore, — comme on le dira bientôt, — les soldats. Puis des doctrinaires viendraient, de très beau langage, d’apparence fort douce, d’autant plus dangereusement trompeurs qu’ils auraient été trompés eux-mêmes ; et tous ensemble, ils expliqueraient, en forme élégante, qu’on ne violait la Constitution que pour la mieux garder, qu’on ne séquestrait la liberté que pour la restituer plus sûrement.

J’ai parlé du Directoire. Mais, en ces apprêts de lutte, était-il unanime ? Comme les Conseils eux-mêmes, il avait sa majorité, sa minorité : d’un côté Barras, La Révellière, Reubell ; de l’autre Barthélémy et Carnot. De là pour lui-même une faiblesse, pour ses ennemis une espérance.

Carnot surtout attire les regards. Ce qu’il porte en lui d’audace, on l’ignore encore. Ce que l’on sait bien, c’est que, parmi les hôtes du Luxembourg, il est, après Barthélémy, le plus modéré. « Le peuple, a-t-il coutume de dire, a voulu la Révolution, mais ne veut pas la révolution perpétuelle. » Il est soldat de carrière, mais plus encore citoyen, et souhaite ardemment la paix. La Terreur, — il le sait mieux que personne, — a accumulé les victimes : à toute nouvelle rigueur, il est hostile et juge même que si les émigrés rentrés sont paisibles, il est opportun de ne pas trop les rechercher. Que si on lui parle de somptueuses solennités qui remplaceront les fêtes catholiques, il écoute avec une ironie silencieuse, et froidement suppute ce que ces magnificences coûteront. Il a l’horreur des niaiseries grandiloquentes. Chez lui, nulle croyance et même un dédaigneux mépris pour les rites religieux. Mais il loue Bonaparte de n’être point entré dans Rome ; il raille sans pitié les débiles fureurs de La