Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’élection libre, la presse libre, la liberté individuelle. Fort bien ; mais il suppose aussi et nécessite la République, ou, pour mieux dire, il l’est. Toutes les libertés se centralisent dans la liberté, toutes les libertés se concentrent dans la Chambre libre ; mais, dès lors, il faut, pour qu’il y ait un atome de liberté dans le pays, non seulement que, par en bas, la liberté électorale, liberté de la presse et liberté individuelle assurent la liberté de la Chambre, mais que par en haut la liberté de la Chambre ne rencontre rien devant elle. Il faut qu’elle soit seule en face des ministres qu’elle nomme, ou qu’elle maintient et crée tous les jours en ne les renversant pas ; et il faut que ces ministres, seuls fonctionnaires responsables, dépendent absolument d’elle et ne dépendent que d’elle seule. Donc il ne faut pas de roi, ou il faut que le roi ne soit rien, ce qui est la même chose.

Thiers ne cherchait pas à échapper à cette conséquence et la République, réelle et déclarée, ou dissimulée et réelle, était dans le programme. Le Roi, s’il existait, devait régner, non gouverner ; il devait être respecté, non obéi ; en d’autres termes la République devait être, avec un président s’appelant président ou Roi.

Et en effet, dans ce système où toute la liberté possible se ramène à ce que les ministres obéissent aux représentants du pays, que quelqu’un, en dehors de la Chambre, puisse commander ou seulement suggérer quelque chose aux ministres, chefs de cinq cent mille agents irresponsables, et toute liberté périt à l’instant. Thiers l’a très bien vu, et a toujours été très ferme sur ce point. Il avait dit en 1830 : « Ce qu’il faut, c’est enfermer la Royauté dans la Charte, fermer les portes et la forcer de sauter par la fenêtre. » Son système était tel que son mot de 1830 s’appliquait à toute royauté. Son programme enfermait toute royauté dans le système parlementaire, l’y emprisonnait, l’y garrottait, et la forçait à rester immobile et inerte ou à sauter par la fenêtre. L’homme n’était pas républicain, le programme l’était. Il l’était à tel point qu’il s’écroulait tout entier, s’il n’aboutissait pas à la République déclarée ou désignée d’un autre nom.

Thiers le vit bien, — il l’avait toujours vu, — mais il le vit plus nettement sous le second Empire. Alors son programme tout entier était suffisamment appliqué, sauf la responsabilité ministérielle, et c’était comme s’il n’eût pas été. La liberté