Allemandes, même sachant et disant savoir le français, aiment mieux lire le livre français dans la traduction allemande. Elle me cite un lettré politique qui lit ainsi le Napoléon de Lanfrey. On a traduit Madelon d’About, mais très mal, en supprimant toutes les finesses.
Chez Mme P. fille d’un officier français, veuve d’un médecin allemand, riche, intelligente, cultivée, très jolie fille, fils peintre, ayant vécu en France et m’ayant vu à Barbizon. Voilà des gens du monde. Bel appartement très haut, vastes pièces moins dorées, moins encombrées, plus simples que les noires ; de très bonnes estampes, visiblement du confortable et du goût. Ils parlent et entendent parfaitement le français, et je crois aussi l’anglais. Très anti-prussiens, et ayant du goût pour la France. — Les impôts étaient presque nuls et sont triplés depuis Sadowa. De plus, service militaire universel au lieu du tirage au sort avec rachat possible : seulement, ceux qui ont un diplôme, une carrière libérale, peuvent être Freiwillige, ne servir qu’un an au lieu de cinq, vivre chez eux et non à la caserne, à condition de s’équiper eux-mêmes. — On juge la France d’après les journaux français, et on la voit toujours prête à entrer en révolution, à faire la guerre. De plus Paris fait de loin un effet fantastique et babylonien : les correspondants allemands ne cessent de parler de ses lorettes, des adultères, des chevaliers d’industrie, etc. Défiance universelle contre la frivolité, la débauche, les mauvaises mœurs françaises, et jugement plus que sévère. Au fond, il y a là-dedans un peu d’envie.
Ici il n’y a pas de classe bourgeoise riche, intelligente, ayant l’habitude du confortable et du monde. Les avocats, médecins, professeurs, les gens de profession libérale mènent une toute petite vie restreinte (Kleines Leben). Leurs femmes, intelligentes, instruites, vives auparavant, s’enferment aussitôt mariées dans le détail du ménage, le blanchissage, la cuisine, les enfants.
Les nobles et tout ce qui est hoffähig[1] font bande à part, évitent toute relation, surtout toute relation intime, avec les quelques bourgeois riches et bien élevés. Parfois, les hommes se voient, mais la familiarité d’une femme noble et d’une roturière est impossible, un salon noble est fermé à une femme non noble. Quand des gens riches, des Polonais, des personnes de
- ↑ Admis à la Cour.