— Tu as quelque chose à me dire ?
— Oui. Maman est très fâchée.
— Fâchée ? Contre qui ? À propos de quoi ?
— Miss Sophie Jackson sort d’ici. Elle a dit que son frère viendrait après le dîner. Elle n’a pas voulu raconter grand’chose, son frère le lui a défendu ; il veut nous donner tous les détails lui-même. Il est maintenant chez notre cousine van der Luyden.
— Pour l’amour du ciel, ma chère, de quoi s’agit-il ? Il faudrait être le bon Dieu pour comprendre tes énigmes.
— Allons, Newland, ne plaisante pas ; maman a déjà assez de chagrin que tu n’ailles pas à l’église.
Avec un geste agacé il se replongea dans son livre.
— Newland ! Écoute donc. Ton amie Mme Olenska était à la soirée de Mrs Lemuel Struthers hier soir ; elle y est allée avec le duc et Mr Beaufort.
À ce nom, une colère irraisonnée s’empara du jeune homme. Il affecta de rire :
— Et bien ? Après ? Je savais qu’elle comptait y aller.
Les yeux de Janey sortaient de leurs orbites.
— Comment ? Tu le savais, et tu n’as pas essayé de l’empêcher, de l’avertir ?
— L’empêcher ? L’avertir ? — Il rit de nouveau. — Et de quel droit ? Ce n’est pas avec la comtesse Olenska que je suis fiancé !
Ces paroles lui sonnèrent étrangement aux oreilles.
— Tu te maries dans sa famille.
— Oh ! la famille ! la famille ! railla-t-il.
— Newland ! Est-ce que tu ne te soucies pas de la famille ?
— Pas pour un liard !
— Ni de ce que pensera notre cousine van der Luyden ?
— Pas pour un centime… si elle a des idées saugrenues de vieille fille.
— Mais, maman n’a pas des idées de vieille fille, dit sa sœur d’un air pincé.
Il aurait voulu crier : « Si ! elle en a, et aussi les van der Luyden, et nous tous, dès que la réalité nous effleure. » Mais il vit le long et doux visage de Janey s’assombrir et il regretta la peine inutile qu’il venait de lui infliger.
— Tant pis pour la comtesse Olenska ! Ne fais pas la sotte, ma petite Janey ! Je ne suis pas le tuteur de la belle Ellen !