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des ententes, des alliances d’intérêts ou d’entreprises. Et si nous nous préoccupons surtout des temps où la France faisait son œuvre là-bas, c’est que la réalité complexe de ces Rhénans comporte une part de ce passé vivant. Je ne méconnais pas tout ce que le rythme impérieux auquel ces populations ont été soumises en tout dernier lieu représente de force d’oubli, » mais je sais que leurs riches régions sont des terres composites, saturées de germes divers et traversées au cours de l’histoire par les courants les plus généraux de la civilisation.

Le Rhin est un fleuve qui se souvient. Pour ses riverains il y a un passé qui ne saurait mourir tout à fait, qui doivent légendaire et poétique, s’il n’a pas d’utilisation présente, mais que ne supprime pas le radicalisme destructif de la raison raisonnante. C’est le carrefour des grandes routes suivies par les légions romaines et par les invasions barbares, le croisement des voies qui de la mer remontent vers les refuges des Alpes, ou de la France se dirigent vers l’Orient : pays où la colonne d’Igel fait face à la cathédrale de Mayence, où le monument de Luther à Worms se reflète dans les eaux qui vont réfléchir la cathédrale de Cologne, où les camps d’instruction de la Prusse moderne voisinent avec les donjons des chevaliers pillards, où les comptoirs de commerce, les cheminées d’usine, les vastes salles de concert se trouvent côte à côte. A chaque pas, le présent, pour devenir intelligible, s’y doit éclairer des souvenirs du passé. Le Rhin n’a pas une puissance de résorption assez forte pour que des États antérieurs y soient complètement abolis. Nous n’empêcherons pas Frédéric Barberousse de dormir, suivant l’imagination de certaines de ces populations, dans une montagne mystérieuse qu’elles placent au Trifels dans le Haut Palatinat : à nous d’empêcher par d’autres prestiges que l’Empereur dont la barbe a fait le tour de la table de pierre ne sorte une fois de plus de son gîte millénaire pour nous assaillir. Nous n’empêcherons pas les pangermanistes de s’attribuer le mérite de ce que connut de prospérité depuis un siècle la Rhénanie : à nous de montrer que ces activités créatrices sont alimentées en réalité à des sources où la France a sa grande part et qu’une fois encore nous pouvons être pour nos voisins un appui.

Allons sur le Rhin, allons sur la basse Moselle. M’excuserai-je de me citer moi-même et de rappeler ici mes impressions