les deux héros du roman que je lisais alors, par contraste, pendant la théorie ou dans les pauses du service en campagne, et qui n’était autre que la Princesse de Clèves ? Mme de Clèves, M. de Nemours s’étaient rencontrés ici même, accoudés à ce balcon de pierre et, si vous voulez des précisions, ils s’y étaient attardés le 17 juillet 1566, un mercredi. Pourquoi ne l’ai-je appris qu’aujourd’hui ? Mais peut-être est-il préférable que mon érudition soit d’une date si récente. Il faut le secours et l’amitié de l’âge pour voir le romanesque où il est, c’est-à-dire dans la vie et non dans l’imagination. Je n’aurais peut-être pas goûté alors ce voisinage de mes personnages de roman, si j’avais su que M. de Nemours eût épousé Mme de Clèves après son veuvage et si je n’avais cru entendre que les confidences d’un couple légitime.
Donc, le mercredi 17 juillet 1566, le duc et la duchesse de Nemours firent leur entrée solennelle dans leur bonne ville d’Annecy et se rendirent au Château. Les Nemours étaient une branche cadette de la Maison de Savoie[1]. Le premier en date est Philippe de Genevois-Nemours dont la sœur, Louise de Savoie, fut la mère de François Ier. Lui-même avait accompagné Louis XII dans sa campagne d’Italie et avait épousé Charlotte d’Orléans, cousine du roi de France, qui donna à son nouveau cousin le duché de Nemours.
C’était un prince brillant et magnifique dont Bonivard trace ce portrait : « Philippe de Savoie était vaillant et expert de sa personne et de son esprit en toutes choses qui appartiennent à un séculier plutôt qu’à un ecclésiastique (il avait renoncé au siège épiscopal de Genève) : coureur, sailleur, tireur de pierres, de barres, de boules ; danseur, jouteur, beau chevaucheur, bon arbalétrier, bon harquebusier. Touchant aux choses d’esprit : chantre, joueur de flûte, peintre, et tout plein d’autres qualités, et surtout était adonné à la chasse. » Bien que les Nemours se soient signalés au service de la France, parfois même aux dépens de leur pays d’origine, ils eurent toujours un goût très vif pour leur petite capitale d’Annecy. « Depuis que le comté de Genevois, dit le P. Boniface Constantin dans sa Vie de Mgr Claude de Granier, fut donné en apanage à Philippe de Savoie, cette ville a repris quelque chose de l’ancien lustre qu’elle avait sous les Romains. » Charlotte d’Orléans, veuve
- ↑ Souvenirs historiques d’Annecy par le chanoine Mercier (Nierat imprimeur à Annecy, 1878).