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là l’objet d’une grande controverse littéraire qui met aux prises le Roman et l’Histoire dont la ressemblance est plus frappante qu’on ne le croit communément, à la condition, je le crois, de chercher dans le roman l’histoire en cours et non une évocation d’archives.


II. — LA QUERELLE DE « LA PRINCESSE DE CLÈVES »

Le roman de Mme de Lafayette parut en 1678. Mais il était composé depuis quelques années déjà, et connu non seulement de La Rochefoucauld, qui l’avait peut-être revu ou qui, du moins, avait conseillé l’auteur, mais de tout un cercle d’amis assez portés sur leur langue pour avoir répandu leur bonne fortune. Dès sa publication, on y chercha des clés et l’on y voulut voir des allusions.

La peinture de la cour des Valois parut si exacte qu’on lui attribua une valeur historique, d’autant plus que le nom du héros principal n’était même pas déguisé. Cependant Valincour, qui devait occuper à l’Académie le siège de Racine, relevait dans ses Lettres à la marquise, sur le sujet de la princesse de Clèves, bien des inexactitudes, et signalait que la scène la plus originale, celle de l’aveu, était tirée d’un roman de Mme de Villedieu, les Désordres de l’amour, paru deux ans auparavant. « On y voit, écrivait-il, le marquis de Thermes amoureux de sa propre femme ; on voit cette femme répondre aux empressements de son mari avec beaucoup de froideur et d’insensibilité, chercher la solitude, puis le grand monde, et enfin devenir malade de chagrin. Son mari en est au désespoir ; il ne la quitte point ; et, l’ayant un jour surprise comme elle fondait en larmes, il la presse de lui découvrir le sujet qui les faisait couler. Elle s’en défend longtemps, et enfin elle lui avoue qu’elle aimait le jeune baron de Bellegarde. »

C’était, nettement, une accusation de plagiat. Mais, au XVIIe siècle, une telle accusation n’emportait aucun discrédit. Les auteurs traitaient volontiers le même sujet. Les vers de Corneille et de Racine s’entrecroisaient sur Bérénice. Molière prenait son bien où il le trouvait, et jusque dans Rabelais. La psychologie l’emportait sur l’invention. La composition des caractères et l’analyse des sentiments avaient plus d’importance que la position des scènes. Certain abbé de Charnes répliqua