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il rencontrait Beaufort au cercle, ils échangeaient un signe de tête silencieux à travers les tables de whist.

Le quatrième jour, il trouva, en rentrant chez lui, un billet ainsi conçu : « Venez tard demain, il faut que je vous explique. Ellen. » Le jeune homme, qui dînait en ville, mit le petit mot dans sa poche. Après le dîner, il se rendit au théâtre, et ce ne fut qu’après minuit, de retour chez lui, qu’il relut lentement cette missive. Il y avait plusieurs manières d’y répondre. Il les étudia toutes, en un examen approfondi, au cours d’une nuit sans sommeil. Celle qu’il choisit fut de faire rapidement sa valise, et de sauter dans le bateau qui partait le lendemain pour Saint-Augustin.


XVI


Quand Archer descendit la grande rue sablonneuse de Saint-Augustin, se dirigeant vers la maison qui lui avait été indiquée comme la demeure de Mr Welland, il aperçut May debout sous un magnolia. Les rayons du soleil doraient ses cheveux, et le jeune homme se demanda pourquoi il avait tant tardé à venir.

La vérité, la réalité, la vraie vie se trouvaient là ! Comment, lui, l’indépendant Archer, s’était-il cru obligé de rester cloué à son bureau par crainte des critiques ?

— Newland, est-il arrivé quelque chose ? s’écria la jeune fille.

Ainsi elle ne devinait pas, elle ne lisait pas dans ses yeux la raison de sa venue ! Mais lorsqu’il répondit : « J’ai voulu vous revoir, » elle rougit délicieusement, et cette rougeur effaça la légère déception du jeune homme.

Malgré l’heure matinale, la grand’rue se prêtait mal à un entretien intime, et Archer souhaitait vivement de se trouver seul avec May. Les Welland déjeunaient tard : la jeune fille lui proposa une promenade jusqu’au bois d’orangers au delà de la ville. Elle venait de ramer sur la rivière et le soleil semblait l’avoir prise dans le filet d’or qu’il jetait sur les petites vagues. Sur le brun chaud de sa joue, ses cheveux fous brillaient comme des fils de métal ; ses yeux semblaient plus clairs, presque pâles dans leur transparence. Elle marchait à côté d’Archer de son long pas rythmé, et son visage était empreint de la sérénité vide de pensées que l’on voit aux jeunes athlètes des frises grecques.