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solution demeure : vendre la terra au Hazjido. C’est ce qu’il se décide à faire.

Quant à la grande noblesse, même après l’abolition du servage, elle continuait de mener, à Vienne et dans les grandes villes d’Europe, le même train fastueux qu’autrefois, hypothéquant ses domaines, et demandant à ses juifs, dans ses embarras d’argent, des avances sur les fermages. A la mort du seigneur, la terre était grevée de charges ; on se la partageait entre plusieurs héritiers, parmi lesquels il s’en trouvait toujours qui voulaient vendre leur part. Et toujours le Juif était là ! Combien de ces Hazjido sont aujourd’hui propriétaires des maisons, où leurs ancêtres sont arrivés jadis, dans leurs longues houppelandes noires, humbles, craintifs, l’échine courbe, et où ils ont vécu si longtemps tutoyés par le dernier des valets !

Lorsque les fils de ces Juifs-là avaient leur plumage complet, je veux dire de l’argent en poche et une petite instruction, ils prenaient, eux aussi, leur vol du côté de Budapest, — non certes pour s’enterrer là-bas sous les paperasses de l’Administration, mais pour s’y livrer aux occupations positives qui donnent la véritable puissance.

Les vieux Allemands de Pest virent arriver ces intrus avec effroi. Peu actifs, routiniers, honnêtes, comment auraient-ils tenu tête à ces nouveaux venus, qui les dominaient par l’énergie, le sens prodigieux des affaires, et bien souvent aussi un manque absolu de scrupules ? Les uns après les autres, les fils de ces vieux commerçants firent à leur tour ce qu’avaient fait les fils de la gentry, dont ils avaient adopté le caractère et les façons à force de vivre auprès d’elle. Ils laissèrent leurs négoces, pour s’engager dans les carrières libérales dédaignées de la noblesse. Ils devinrent avocats, médecins, professeurs. Et la banque, l’industrie, tout le haut commerce de l’est tombèrent aux mains des anciens Hazjido.


Le petit commerce, lui, fut la proie d’une autre sorte de gens, — ceux que leurs coreligionnaires eux-mêmes appellent les Juifs sauvages. Ceux-là venaient de Galicie en droite ligne, ou bien, après un court séjour dans les villages de la Haute-Hongrie, où ils restaient juste le temps de ramasser un pécule, aussi léger fût-il, avant de s’élancer vers Pest, pour y tenter fortune. Tout les y attirait : le succès prodigieux qu’y rencontraient leurs