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Ministre, celui-ci s’aperçut avec surprise qu’il ne correspondait pas au projet précédemment arrêté. Il en avisa le souverain. L’empereur, qui partait pour la campagne, lui donna audience dans son wagon, et la, sans plus d’explications, lui signifia son congé.

Quelles conséquences eut ce renvoi brutal sur la suite des événements ? Quel eût été le rôle de Tisza dans les tentatives de l’empereur Charles pour faire une paix séparée ? Les aurait-il repoussées comme une trahison envers l’Allemagne ? ou bien aurait-il considéré qu’on devait sacrifier l’alliance aux intérêts de la Double Monarchie ? Les avis diffèrent sur ce point. C’est là d’ailleurs un problème tout à fait académique. Au moment où l’Empereur faisait sa démarche fameuse, Tisza était loin de la Cour. Il avait rejoint dans les Carpathes, en qualité de colonel, le régiment des Hussards de Debreczen, où il avait fait son service, menant la vie des soldats, partageant leurs souffrances, se nourrissant comme eux, toujours au poste le plus exposé, et ne quittant l’armée qu’à de rares intervalles, pour se rendre au Parlement.

Il était à Budapest lorsqu’arriva la nouvelle que le général Franchet d’Esperey avait brisé le front bulgare. En France, les Allemands reculaient ; les Autrichiens cédaient sur la Piave : la Hongrie était perdue. A mesure que la catastrophe devenait plus évidente, un profond mouvement de haine s’élevait contre Tisza. Tout ce qu’une guerre malheureuse peut soulever de fureur et de rancune s’accumulait sur sa tête. On lui demandait compte aujourd’hui du désastre où il avait précipité sa patrie.

Une âme moins forte que la sienne aurait songé à se défendre en apportant la preuve qu’en juillet 1914, il n’avait pas tenu à lui que la guerre fût évitée. Mais en ce temps-là, ses amis, ses partisans politiques l’avaient bruyamment glorifié d’avoir été le grand artisan du conflit. Pour ne pas troubler l’opinion, il ne les avait pas démentis, et cela lui avait valu une popularité immense. Maintenant que les choses tournaient mal, allait-il rompre le silence qu’il avait si obstinément gardé, quand il servait sa renommée ? Pouvait-il livrer son secret, pour en tirer encore un prodigieux avantage, et, dans l’effondrement de tout, sauver son prestige personnel ?

Dans la séance du 17 octobre 1918, la plus émouvante sans doute du Parlement de l’ancienne Hongrie, le dernier discours