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vues sur l’Histoire d’Angleterre. » Ainsi l’idée germée en sa tête dès 1817, longuement méditée depuis lors, le ramenait à l’objet de ses premiers travaux. Désireux de mettre en lumière cette théorie de la conquête qui lui paraissait dominer les temps modernes, il décida d’écrire l’histoire de la plus récente, la conquête normande au XIe siècle. Mais, là ne se bornait pas son projet. Lui qui dans ses Lettres au Courrier venait d’attaquer avec tant de vivacité les anciens auteurs de l’Histoire de France, il allait chercher à réaliser la réforme qu’il sollicitait. Laisser de côté les formules conventionnelles et les imitations de l’antiquité, s’efforcer de trouver le beau au cœur même de la barbarie du Moyen-Age, faire jaillir l’intérêt dramatique du contraste des mœurs et du choc des caractères, en un mot, créer un art nouveau, tel était le problème qu’il s’imposait, l’« épopée » qu’il voulait construire.

Il nous a laissé lui-même un émouvant et poétique récit des difficultés qu’il eut à vaincre et de l’enthousiasme qui l’enfiévrait. « Le catalogue des livres que je devais lire et extraire était énorme ; et comme je ne pouvais en avoir à ma disposition qu’un très petit nombre, il me fallait aller chercher le reste dans les bibliothèques publiques. Au plus fort de l’hiver, je faisais de longues séances dans les galeries glaciales de la rue de Richelieu, et plus tard, sous le soleil d’été, je courais dans un même jour de Sainte-Geneviève à l’Arsenal et de l’Arsenal à l’Institut. Les semaines et les mois s’écoulaient rapidement pour moi au milieu de ces recherches préparatoires, où ne se rencontrent ni les épines ni les découragements de la rédaction ; où l’esprit, planant en liberté au-dessus des matériaux qu’il rassemble, compose et recompose à sa guise et construit d’un souffle le modèle idéal de l’édifice que plus tard il faudra bâtir pièce à pièce, lentement et laborieusement. En promenant ma pensée à travers ces milliers de faits épars dans des centaines de volumes et qui me présentaient pour ainsi dire à nu les temps et les hommes que je voulais peindre, je ressentais quelque chose de l’émotion qu’éprouve un voyageur passionné a l’aspect du pays qu’il a longtemps souhaité de voir et que souvent lui ont montré ses rêves. »

Cette année 1821 est, vraiment pour Augustin Thierry l’année charmante où il se plonge et s’absorbe tout entier dans l’extase du passé. Il n’interrompt son dépouillement opiniâtre des