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son budget toujours précaire et cette dernière ressource lui échappait encore. L’affectueux dévouement de Villemain le tira de ce mauvais pas. Le professeur académicien, — c’était avant sa protestation fameuse contre la loi de Justice et d’Amour, — se trouvait en faveur aux Tuileries. Il intervint auprès de Sosthène de La Rochefoucauld, plaida avec émotion la cause de son ami malade et besogneux, obtint pour lui, en même temps qu’une immédiate allocation de mille francs, destinée à parer à ses premiers besoins, une pension de quinze cents francs sur les fonds de la direction des Beaux-Arts.

Ce viatique, accru d’un prêt de même somme consenti par Laffitte, permit à Augustin Thierry de poursuivre sans trop d’inquiétude le cours de sa vie laborieuse. Sous l’impulsion de Guizot, de Barante, de Sismondi, l’œuvre de réforme historique qu’il avait prêchée avec tant d’enthousiasme en 1820 était en train de s’accomplir : « la véritable science s’élevait et commençait à rallier autour d’elle les penseurs et les esprits droits. » Il restait à la faire triompher dans le public et dans les écoles. Thierry pensa donc, pour les réunir et les compléter, en composer un livre qui pût servir d’introduction à l’étude de l’Histoire de France, à reprendre ses Lettres du Courrier qui avaient commencé à populariser son nom.

Il ressaisit cette nouvelle tâche avec la même ardeur qu’autrefois, cependant d’un esprit plus calme et d’un savoir mieux assuré. Mûri par la réflexion, il retrancha de ses premiers travaux des inexpériences ou des erreurs, donna à son œuvre plus d’ampleur et de relief. Etendant le champ de sa controverse, il en adoucit l’accent pour faire dominer de plus en plus la science sur la polémique. Les dix premières lettres du Courrier furent ainsi refondues entièrement. Il en ajouta quinze nouvelles, où les deux questions fondamentales qu’il n’avait autrefois qu’effleurées : celle de la formation si lente et laborieuse de la nationalité française et celle de la révolution communale, à laquelle il maintint ce nom, reçurent de longs développements.

Là encore, il retrouvait les « vaincus » chers à son esprit de libéral et de saint-simonien. Peu de récits présentent un intérêt aussi dramatique que les quatre dernières lettres. Chacun se passionna pour ces héroïques bourgeois de Laon et de Vézelay dont l’auteur retraçait les dures et longues misères, « comme