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C’est alors qu’il exhala dans une sorte de cantate son regret de l’illusion trop tôt évanouie qui avait un moment bercé ses souffrances.

Victor Cousin a publié dans le Journal des Débats, en 1862, cette pièce assez longue, intitulé les Deux Voix. Le poète y exprime tour à tour les désirs de son cœur et les conseils de sa raison dans l’alternative de la Voix de la terre et de la Voix d’en-haut. La forme versifiée, malheureusement incertaine et faible, par endroits même assez poncive, est loin de répondre à l’élévation des sentiments qu’elle cherche à traduire : apaisement dans la résignation ; refuge dans l’oubli u travail contre la solitude et le découragement.

C’est en effet au travail que l’écrivain, de plus en plus gagné par la paralysie, venait demander un adoucissement à son mal implacable, une consolation au désespoir de sa santé perdue. Il était arrivé quasi-mourant à Carqueiranne, accablé des plus sombres pressentiments, croyant sa fin prochaine. Cependant, il ne consentait pas à disparaître sans avoir soumis à une révision attentive le grand ouvrage de sa vie, l’Histoire de la Conquête. La réimpression de 1826 n’avait guère été augmentée que de quelques pièces justificatives. Cette fois, aussitôt que son état le permit, mieux détaché de ses premières impressions, plus capable d’exercer sur son œuvre un contrôle sévère, il en retoucha l’ensemble et les détails, la composition et le style, y apporta de nombreuses corrections, des additions importantes, et, comme il avait écrit pour l’avenir plutôt que pour le présent, selon le précepte de Thucydide, il tâcha d’effacer, dans le fond et dans la forme, tout ce qui tenait aux préoccupations du temps, aux ardeurs de la jeunesse, tout ce qui pouvait paraître hasardé, exclusif, passionné.

Ce fut l’édition de 1830, qu’il jugeait alors définitive, comptant sans les scrupules infinis de l’homme, du savant, et de l’artiste.

Un autre et troublant motif d’anxiété était pour lui la situation politique du pays et les graves événements qui se précipitaient de jour en jour. C’étaient les idées les plus chères a son esprit et à son cœur, la cause défendue de toute son énergie, à laquelle il avait autrefois sacrifié sa carrière, qu’il apercevait en péril, menacée par un gouvernement de réaction à outrance. Il avait frémi de colère à l’avènement du Cabinet Polignac, ce