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« ministère Coblentz-Waterloo, » salué de ses vœux la fondation du National, auquel collaboraient presque tous ses amis : Sautelet, Peysse, Mignet, Armand Carrel, applaudi d’enthousiasme à leur programme de bataille : « Enfermer le gouvernement dans la Charte ou le faire sauter par la fenêtre, » inconsolable que la maladie l’empêchât de se joindre à leur « phalange sacrée. » Il s’emportait en paroles violentes, en éclats indignés et ses hôtes éprouvaient toutes les peines du monde à calmer cette agitation encore accrue par la mesure qui frappait son frère, brutalement révoqué de ses fonctions de maître de conférences à la Faculté des lettres de Besançon.

Les circonstances, en ramenant sa pensée vers un objet plus immédiat et personnel, vinrent heureusement distraire ces alarmes chagrines.

L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres comptait un grand nombre de fauteuils vacants. Appartenir à cette élite, siéger sous la coupole, à côté d’un Sylvestre de Sacy, d’un Daunou, d’un Gérando, était devenu le plus cher désir d’Augustin Thierry.

Les élections s’annonçaient comme toujours fort disputées, et la candidature de l’ancien ami de Saint-Simon rencontrait des obstacles redoutables. On le jugeait bien jeune, hautement convaincu de libéralisme, et suspect au pouvoir, comme ami de La Fayette ; l’abbé de Montesquiou lui reprochait ses jugements sur l’Eglise dans l’Histoire de la Conquête. En outre, retenu par son mal à l’autre extrémité du pays, l’infirme ne pouvait venir à Paris défendre sa chance. Une première fois, il eut la déception de se voir préférer Félix Lajard, l’historiographe de Mithra. Une seconde tentative fut plus heureuse. Ses amis, Daunou, Villemain, Abel Rémusat, Destutt de Tracy, et le plus illustre d’entre eux, Chateaubriand[1], menaient avec dévouement en sa faveur la plus ardente campagne. Pour plaider « la double cause du génie et du malheur, » La Fayette écrivit des lettres vraiment touchantes. Le 7 mai 1830, Augustin Thierry fut élu au fauteuil de Boissy d’Anglas, vacant depuis bientôt quatre ans.

Le bonheur et la fierté qu’il éprouva de ce succès furent grands et l’allégresse lui rendit un instant comme un fantôme de

  1. Au sujet des relations de Chateaubriand et d’Augustin Thierry, voir notre article dans la Revue du 1er novembre 1916.