Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

graves, les voix mutines des montagnes. Mais la Montagne Sainte n’a pas de voix : c’est la terre des recueillements introublés, des ermitages muets. Nous causons peu. On n’entend guère que le cri des muletiers montant et dévalant la piste, pour exciter, je ne sais pourquoi, leurs bêtes dociles et le soufflet de forge du gros moine joufflu, suant et rougeoyant à nous suivre en piéton. Nous nous élevons très vile. Daphni et son monastère de Diochiarou ne sont déjà plus que des jouets d’enfant ; la mer d’un bleu d’acier s’enfonce et s’agrandit. A l’ivresse progressive de l’altitude se mêle l’illusion de planer sur les eaux.

Tout bas, vers le Nord, dans un cirque de frondaisons passées de l’automne, l’orgueilleux Pantéleimon érige ses multiples coupoles vertes, tandis qu’au Sud, par-dessus les crêtes boisées, la flèche de l’Athos semble trouer le ciel. Voici qu’apparaissent les frêles cyclamens mauves et les bleues gentianes des neiges. Leurs touffes de plus en plus pressées font à notre procession une double haie odorante. Les guides nous en cueillent à foison. Cyclamens élégiaques, cyclamens si gracieusement, si tendrement mélancoliques, douces fleurs des souvenirs en deuil et des regrets troublants, vous chantez en ce jour de Toussaint, dans le recueillement sacré de l’Athos, l’hymne silencieux de nos espoirs vivaces, de nos rêves pieux de bonheur…


* * *

Depuis combien de temps grimpons-nous ? Je ne sais. Les songes se rient de l’heure qui passe. A l’Athos, peut-on ne pas se laisser aller aux songes ? Brusquement, la forêt s’ouvre ; du lointain, une plainte monotone de cascade nous arrive ; et, sur une terrasse juste assez grande pour lui, dans un bain de soleil, le monastère de Xiro Potamou apparaît. Ah ! la puissante et farouche bâtisse ! Des assises énormes percées de meurtrières ; des murs que l’on devine épais, où s’accrochent des balcons en moucharabîehs ; et comme un air de robuste défiance. Dix siècles ont passé, sans vieillir le monastère.

Xiro Potamou est idiorrythme. Sur l’esplanade, les moines dispersés nous regardent avec des yeux emplis de curiosité naïve. Nul ne se départit de son silence ou de sa nonchalante méditation. Il est vrai que nous arrivons à l’heure où les