Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religieux prennent leur sommeil. O surprise ! Tandis qu’à la suite de l’archimandrite nous marchons sur des rameaux de lauriers, tandis qu’à la porte massive un moine nous encense, la « simandra » de bronze grave et lente fait entendre sa voix à tous les échos de la montagne. Et il semble que la vie vient de ressusciter, que l’Hagion Oros s’éveille au matin d’un Noël joyeux. Illusion ! Ici la vie ne meurt ni ne s’éveille ; la vie s’immobilise dans une contemplation éternelle. En franchissant le seuil du monastère, nous avons retrouvé mille années mortes sans laisser de traces ; et nous ne savons plus vraiment si le présent existe, si la seule réalité n’est pas celle du passé, Car rien n’a changé dans la triste cour intérieure. C’est toujours la fontaine sacrée, les mêmes salles irrégulières, que les herbes déchaussent, les mêmes galeries en encorbellement, le même va-et-vient de fantômes muets ne se réunissant que pour l’office.

Nulle part, je n’ai ressenti plus nettement l’attrait singulier du moyen âge que dans les monastères de l’Athos. En parcourant les cloîtres, où l’on chercherait en vain une richesse architecturale, où flottent des senteurs violentes d’encens, de lauriers et de chaux vive, il me semblait, au temps où la terreur de l’an mille épouvantait le monde, m’en aller vers l’iconostase prier les saintes images. Xiro Potamou, comme tous les monastères de l’Athos, est fier de sa chapelle. D’où vient que l’Orient mystique n’ait su faire chanter en ses églises orthodoxes ni l’inspiration ni la majesté ? Sans doute l’iconostase, avec ses sculptures fouillées, ses parements de cuivre repoussé et doré, ses icônes d’argent, aux figures peintes, éblouit par ses éclats multiples ; sans doute, les vieilles mosaïques au dessin naïf mais aux couleurs vives, les fresques dont les piliers et les voûtes s’animent, donnent à la chapelle une apparence de vie étrange et quelque peu mystérieuse. Mais l’iconostase a trop de reflets métalliques et trop d’ornementation criarde, pour ne point apparaître comme un rideau fascinateur tendu par-devant le néant ; le lustre immense, qui force à baisser la tête, fait songer à un ciel prêt à écraser la terre ; et, dans le demi-jour intérieur, les fresques aux lignes noires, aux teintes assombries, évoquent invinciblement les figures troublantes qu’imaginait le moyen âge, hanté du jugement d’outre-tombe.

Une lumière indécise, tour à tour dorée et sépulcrale,