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quelqu’un, ce que je peux renfermer sans crier ! » À la pauvre Mme Bascans, chez qui Ondine était allée mourir, deux années après l’événement, en 1853, avec le même accent elle fera savoir, toujours sous le coup de la douleur : « La vie ne m’est pas restée entière ! » Ou bien, dans un mot admirable, qui la peint si bien et que M. Lucien Descaves a rapporté : « Nous sortons de ce monde par lambeaux… »

Ces lambeaux, ces parties d’elle-même toutes saignantes, elle les offrait à Dieu. Du moins, en 1854, après tant d’écrasement, tant de deuils et de souffrances indicibles, à Pauline Duchambye, la musicienne, la plaintive, celle qui, — comme elle, — était « née peuplier, » elle le donnait à entendre : « Ecoute, disait-elle, je suis allée à l’église où j’ai fait allumer huit cierges humbles comme moi. C’étaient huit âmes de mon âme : père, mère, frère, sœur, enfants ! Je les ai regardés brûler et j’ai cru mourir ! » Cela, elle l’écrivait en 1854. En 1853, à peine le coup ressenti, elle n’avait pas eu même cette force de se traîner devant Dieu et près des autels. Et il faut lire la lettre, qu’au lendemain du drame de la mort d’Ondine, elle écrivit à Raspail, alors détenu politique dans la forteresse de Doullens, cette lettre où elle dit au prisonnier qu’elle lui « jette son cœur sanglant ! »

Pour retrouver de pareils accents de l’âme, et, chez des poètes, pareils mots déchirants, il faut penser à Lamartine faisant savoir en 1832, à son ami de Virieu, après la mort de sa fille Julia survenue en Palestine, à quel point son âme « est frappée à mort. » Il faut entendre la plainte suprême poussée par Victor Hugo après la mort tragique de sa fille Léopoldine :

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire,
Je vous porte apaisé
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé…

Les cris pleins de sanglots, les appels désespérés proférés par Mme Valmore après la mort de sa fille Ondine, sont de l’ordre de ces beaux cris. Ils font que, de cette mère de douleur, nous ne pouvons désormais séparer dans le souvenir cette fille au regard de source et au nom charmant que fut la frêle enfant du poète.


EDMOND PILON.