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la première entrevue. Il fit venir le geôlier. Je ne pus retenir un sanglot quand je vis dans les mains de cet homme les énormes clefs des portes des cellules. La serrure de la cellule du grand-duc Dimitri, le n° 11, était rouillée ; on n’en vint à bout qu’à grand peine. Quand s’ouvrit la porte du n° 13, j’eus devant moi mon cher grand-duc Nicolas ; il n’avait pas l’air abattu : ce fut le sourire sur les lèvres, la taille redressée, en vrai petit-fils de l’Empereur Nicolas Ier, qu’il m’accueillit. Il me dit qu’il avait bien dormi et me pria de remercier le cuisinier pour le déjeuner qu’il avait trouvé très bon. Condé eut la délicatesse de s’éloigner, une fois ouvertes les portes des détenus. Nous pûmes librement causer. On nous avait accordé une demi-heure d’entretien, mais nous pûmes rester quarante minutes. Le Grand-Duc avait papier, crayons, plume, encre, cigares, cigarettes, objets de toilette, même des livres, bref tout le nécessaire. Les quarante minutes écoulées, le gardien-chef vint nous prévenir qu’il fallait partir. J’allai saluer les deux autres Grands-Ducs. Le grand-duc Dimitri, un peu indisposé, me reçut avec son sourire habituel. Le grand-duc Georges se portait bien ; il écrivait à sa famille. Je suis témoin que les trois Grands-Ducs faisaient preuve d’un courage aussi simple qu’admirable.

Le régime adopté pour les grands-ducs Nicolas et Georges fut le suivant : le matin on leur portait le café, à midi et demi le déjeuner et vers les sept heures et demie le diner. Le grand-duc Dimitri recevait ses repas séparément. Vers les quatre heures, nous nous rendions à la prison. Il fallait pour cela aller de grand matin au soviet et demander des permis chez Condé. Après quelques jours, on laissa les portes des cellules ouvertes : les détenus purent se promener librement dans le corridor de la prison et descendre dans la petite cour. Par bonheur, nous avions une série de belles journées d’été. La prison affectait la forme d’un long corridor, avec des cellules des deux côtés. On y accédait par deux cours, dont l’une avait une porte en fer toujours fermée à clef ; la clef se trouvait chez le gardien-chef. La cellule du grand-duc Nicolas était une grande pièce avec deux fenêtres donnant sur la cour, une table au milieu, un banc de bois contre le mur. Son lit de camp, qu’on lui avait apporté, avait été disposé au milieu de la pièce, à côté de la table, mesure contre l’humidité et contre les insectes. Les