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pour elle allait chez quelques-uns jusqu’à l’exaltation, et Jules Bouni, dans un volume qui fit quelque bruit, allait jusqu’à la ranger, non sans exagération, parmi les Martyrs de la libre pensée. Aujourd’hui, tous ses titres sont contestés, oubliés ; une partie de l’opinion flottante s’est même tournée contre elle, et peu s’en faut qu’à la faveur ait succédé la dérision. On a écrit qu’elle n’avait ni discernement, ni perspicacité, qu’elle a été la dupe de sa vanité, qu’elle a vécu de parti pris et d’illusion. Un critique qui s’est acquis, depuis quelques années, une juste notoriété l’a traitée assez récemment d’ « insupportable bavarde qui fatiguait Goethe et Schiller » et, plus récemment encore, de germanomane, alors qu’il semble que germanophile aurait suffi. Pourquoi cette animosité ? Parce que, de 1807 à 1810, elle a écrit un livre qui, confisqué sous l’Empire, ne devait paraître qu’en Angleterre en 1813 et qui s’appelle l’Allemagne. C’est d’avoir commis ce crime que je voudrais la disculper quelque peu.


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Laissons de côté l’imputation de bavardage. La conversation n’est guère qu’un bavardage relevé, mais avoir poussé l’esprit de conversation au point où il touche à l’éloquence, avoir eu le don de captiver et de tenir enchaîné un auditoire souvent composé d’hommes de premier ordre, et avoir tenu tête aux plus brillants, ce n’est déjà pas un don ordinaire. Il n’en a pas fallu davantage pour faire la réputation de Rivarol, et s’il n’avait laissé que son Discours sur l’universalité de la langue française, bien peu de nos contemporains connaîtraient son nom. Au témoignage de ceux qui l’ont entendue, et j’en ai connu encore quelques-uns, la conversation était son triomphe. Ses ouvrages n’en seraient que le reflet, et je crois bien en effet que jamais, dans aucun cerveau de femme, n’ont tourbillonné autant d’idées, les unes sagaces et profondes, les autres chimériques et erronées, mais toujours nobles et généreuses.

Parlons maintenant de l’Allemagne. Mme de Staël a fait deux séjours en Allemagne. Le premier date de décembre 1803 à

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  1. Archives de Coppet.