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encore de vous arrêter à La Grange dans le temps ou avant le temps indiqué par la prudence des uns et la malveillance des autres. Mais pour nous mieux assurer cette satisfaction, je m’empresse de vous dire que je ne vais que pour peu de jours à Paris où je porte moi-même cette lettre ; quelque retard que puisse y mettre la poste, vous saurez avant votre départ que nous comptons retourner à La Grange mardi 12 pluviôse. J’en excepte avec regret ma belle-fille que je me faisais un plaisir et, pour tout avouer, un orgueil de vous présenter dans notre retraite. Elle doit rester à Auteuil jusqu’après ses couches. J’ai passé la nuit à lire votre ouvrage, madame, et je me suis livré de tout mon cœur aux plaisirs du sentiment et de l’admiration ; je ne puis citer que ce moment d’impartialité parce qu’ayant su depuis avec quelle méchanceté et quelle bassesse on l’attaquait, je m’y suis attaché par indignation, ce qui m’aurait rendu moins sûr de mon jugement s’il n’avait pas été porté d’avance. Recevez, chère madame, l’expression de l’amitié que je vous ai vouée. Offrez mes tendres hommages à monsieur votre père ; ma femme et mes filles partagent bien ma reconnaissance de vos bonnes intentions pour La Grange.


* * *

Mme de Staël désirait passionnément passer l’hiver à Paris. Après plusieurs séjours chez différents amis qui possédaient des habitations aux environs, entre autres à Saint-Brice, chez Mme Récamier, elle avait fini par rentrer à Paris où elle passa quelque temps ; mais le Premier Consul exigea son départ. Elle partit le 29 octobre 1803.


VI

La Grange, 1er brumaire.

J’avais appris, chère madame, l’étrange expédition dirigée contre vous ; votre lettre me l’a confirmée. Une réponse de Mathieu m’explique pourquoi vous n’avez pas passé ici et me laisse entrevoir un autre arrangement. Je croirai volontiers à ceux qui vous éloigneront le moins, car si personne ne sent mieux que moi le prix que vos amis mettent à votre séjour, personne n’a été plus étonné de l’importance que le Premier Consul a paru mettre à votre départ ; mais je me borne à vous