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La situation du bourgeois a été toute différente. La majorité de ses épargnes était placée dans ce que l’on appelait « des valeurs de tout repos, » de « père de famille : » rentes sur l’Etat et actions ou obligations de chemin de fer. Leur valeur en capital a diminué d’un tiers ou de moitié. D’autres placements, tels que fonds russes, ont cessé de lui rapporter aucun intérêt et sont, en partie au moins, irrémédiablement perdus. Les pensionnés et les retraités de l’État n’ont vu leurs revenus accrus que d’une manière très faible en comparaison de leurs dépenses. L’augmentation de traitement des fonctionnaires, — voyez là-dessus les chiffres significatifs donnés par M. Martin Saint-Léon, — est tout à fait disproportionnée avec celle des salaires ouvriers ou du coût de la vie. Nombre de professions libérales, — artistes, écrivains, etc. — ont vu, durant plusieurs années, leur gagne-pain presque complètement supprimé. La bourgeoisie a été particulièrement frappée dans deux habitudes sociales qui tiennent étroitement à l’intimité même de sa vie : le logement et les domestiques.

Bien plus que par son alimentation, souvent inférieure à celle de l’ouvrier, le bourgeois se caractérise par un certain raffinement dans son logement. Il lui devient de plus en plus difficile de le conserver. Sans doute, grâce aux dispositions édictées par l’État, les loyers n’ont pas suivi la courbe ascendante des autres dépenses et la majorité des locataires a pu être maintenue en jouissance. Mais la cessation des constructions nouvelles, le déplacement vers les villes des populations des pays ravagés, les quantités d’immeubles accaparés par les services publics ou les entreprises privées, la concurrence des nouveaux riches ont amené la redoutable crise du logement à laquelle nous assistons.

Le petit ou le moyen bourgeois en est la victime principale. Il maintient à grand peine son foyer. Ses enfants ne peuvent en fonder un. Et sa vie quotidienne y est cruellement transformée par la raréfaction ou la quasi disparition de la domesticité. Elle formait déjà avant la guerre l’objet de nombreuses doléances, tant au point, de vue du nombre que de la qualité. La catastrophe mondiale a fortement aggravé une crise que nous confirmaient toutes les statistiques. Les usines de guerre, les emplois publics et privés de toute sorte que la mobilisation des hommes rendit accessibles aux travailleuses de l’autre sexe,