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« La grande misère des fonctionnaires de France. » Le journal l’Œuvre ouvrit l’an dernier une enquête sur ce grave sujet. Les confidences qu’il reçut sont innombrables. J’en détache deux.

Un instituteur s’est engagé. Au bout de deux ans, il est nommé sergent-major : « Si je rengage, écrit-il à notre confrère, je toucherai pour débuter une solde que je ne connaîtrai jamais dans ma carrière d’instituteur, sans compter les nombreux avantages qui viennent se greffer sur la carrière militaire (habillement gratuit, voyages à quart de place, denrées à prix réduit). » Il a devant lui, d’une part, une situation aisée et un travail peu pénible, de l’autre, le métier le plus ingrat et le plus délicat qui soit pour, en fin de compte, « toucher un modeste traitement qu’un valet de ferme ne saurait envier. » En conséquence, il rengagera. « Je ne ferai, dit-il, qu’imiter la légion de camarades qui ont déserté l’école pour une situation leur permettant de vivre. »

Deuxième exemple : « Admissible à l’École Polytechnique, professeur de français dans une école de commerce de… (ici le nom d’une des grandes capitales européennes), lieutenant commandant une compagnie dans un très beau régiment pendant la guerre, chevalier de la Légion d’honneur, j’ai pensé qu’il me serait difficile de vivre dans une carrière libérale, et j’ai décidé d’embrasser une profession plus vulgaire, mais aussi plus rémunératrice. Poussant la logique jusqu’au bout, je suis devenu, après quelques étapes dans l’hôtellerie, le concierge de… (Ici le nom d’un des premiers hôtels de Paris). » Et la lettre ajoute : « Vous pourrez m’y voir non pas sous l’uniforme militaire, ou la redingote râpée du professeur de mathématiques que rêvaient pour moi mes parents, mais sous une simple livrée que j’apprécie fortement parce qu’elle me permet de vivre largement. » Largement au point de vue matériel, largement encore, — et ceci est le comble, — au point de vue intellectuel ; car la lettre conclut : « Grâce à elle, je trouverai le moyen de m’instruire encore et d’acheter les livres nécessaires au développement de mon instruction. »

On ne saurait de quelques faits-divers tirer une conclusion générale. Aussi les statistiques recueillies par