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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/350

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est celle qui consiste à représenter la richesse, et d’une manière générale la civilisation comme le fruit du travail matériel. Si nous ne sommes plus dans l’état physique et moral de l’âge des cavernes, c’est seulement parce que l’homme est un animal intelligent. Les travaux de l’apparence la plus spéculative ont été les générateurs des progrès les plus concrets. C’est parce que des milliers de médecins, de physiciens et de chimistes ont obscurément peiné, qu’il a pu surgir un Pasteur, un Berthelot, et un Edison, dont le génie a ouvert à l’humanité plus de possibilités de jouissances que le labeur accumulé durant des siècles de centaines de millions de prolétaires conscients ou non. « S’il n’y avait eu, a écrit le philosophe anglais Bagehot, des gens paisibles qui demeuraient en repos à étudier les sections du cône, si d’autres hommes n’étaient restés aussi paisiblement occupés à construire la théorie des quantités infinitésimales ou à poursuivre le calcul des probabilités qui pour un esprit pratique est un pur clair de lune, un vrai rêve ; si les paresseux, les contemplateurs d’étoiles n’avaient observé dans le temps et avec soin les mouvements des corps célestes, notre astronomie moderne eut été impossible. Or, sans notre astronomie, nos vaisseaux, nos colonies, nos marins, tout ce qui fait la vie moderne n’eût jamais existé. » Les conquêtes successives de l’intelligence passant graduellement dans l’application et l’exploitation sont les causes réelles du progrès. Supposez que la guerre n’eût rien détruit, mais que s’effaçât de la mémoire des hommes la connaissance que nous avions de la physique, de la chimie ou de la médecine : il n’y aurait aucune proportion entre cet inimaginable désastre qui nous ramènerait à la totale barbarie et tout ce que la rage des 420 les plus monstrueux, des gothas et des sous-marins a pu accumuler de ravages. La civilisation humaine, matérielle et morale, est le résidu des épargnes de l’intelligence servie par le travail.

Sans doute, il y a quelques années, des sociologues dénonçaient avec raison notre prédilection excessive pour le fonctionnarisme et la spéculation intellectuelle. Hélas ! M. Demolins lui-même ne pourrait méconnaître le péril que fait aujourd’hui courir à la chose publique la désaffection qui les environne. Ecoutez, dans le Temps, l’appel quasi désespéré que lançait, il y a quelques mois, le docteur Charles Nicolle, directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, le vainqueur du typhus : « Je viens de