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En somme, la bourgeoisie d’aujourd’hui affirme sa capacité de durée. Elle est en train de grossir de nouveaux éléments qui la fortifieront, y infuseront une vitalité neuve. Ou je me trompe fort, ou ce qui est en train de se dessiner en elle, ce n’est pas le déclin, l’alanguissement qui seraient le signe d’une crise de dégénérescence singulièrement scabreuse pour la nation, mais bien plutôt une évolution aussi vaste, aussi profonde, que celle qui suivit l’époque révolutionnaire, et aboutit à former la société de Juillet.

Qui ne reconnaîtrait dans l’époque que nous sommes en train de traverser les signes de cette espèce de déséquilibre qui se manifestait en France au moment où, sortant des convulsions de la Terreur, elle détendait ses nerfs dans les folies du Directoire, cependant que son besoin d’ordre aspirait au rétablissement napoléonien des disciplines, et son légitime « matérialisme » à l’épanouissement économique qui fut celui de la Restauration et de la monarchie de Juillet ? Le quart de siècle dont 1789 inaugura l’ouverture, fut, — relisez le remarquable tableau qu’en a tracé a Bardoux, — l’âge qui vit la refonte quasi totale de ce qui jadis s’intitulait le Tiers-Etat, et fut ensuite la bourgeoisie. Durant cette période, l’assiette morale, politique et économique des classes moyennes fut totalement bouleversée. Il y avait autant de différence entre son âme de 1820 et celle de 1788 qu’entre les paniers et les perruques poudrées de l’Ancien Régime et les modes du style Empire ou Louis-Philippe. Nous sommes aujourd’hui dans un creuset analogue, où la refonte se signale par des phénomènes identiques, par les plus graves aussi bien que par ceux qui ont l’apparence la plus futile. Nos bolchévistes dépassent les pires outrances du jacobinisme ou du babouvisme, et nos nouveaux riches les plus ineptes folies du Directoire. Notre haut de forme et nos redingotes ont sombré dans la bagarre, aussi bien que le croissant à un sou et l’empire des tsars. Si le règne de la salopette ne s’est pas établi, et si les jupes courtes recommencent de s’allonger, il est douteux que jamais ils recouvrent leur prestige. Peut-être beaucoup de raffinements de notre vie ont-ils aussi définitivement disparu que l’Europe politique de 1914. C’est un nouvel ordre de choses qui se constitue.

Sachons, en face de cet inquiétant devenir, nous reporter de cent ans en arrière et de l’expérience de nos aïeux essayer de retirer les leçons qu’elle comporte.