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trer comment les phrases à dessein inintelligibles des Fanfreluches antidotées se rapportent, selon toute évidence, aux troubles de l’Église au XVe siècle, ou bien comment la rixe des fouaciers de Lerné et des bergers de Grandgousier représente le plus clairement du monde les querelles des catholiques avec les huguenots, puisqu’aussi bien ceux-ci nomment pasteurs leurs ministres et ne regardent les hosties consacrées que comme « des oublies cuites entre deux fers chauds à la manière des fouaces du Poitou. » À recueillir ces graves balivernes, on ferait un joyeux ouvrage. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, tout le monde a sa clef de Rabelais : les gens bien renseignés savent de source sûre que l’île des Andouilles est la Touraine, et celle des Alliances, la Picardie ; que Gargamelle est Marie d’Angleterre, sinon Louise de Savoie ; que Grandgousier, Gargantua et Pantagruel représentent Louis XII, François Ier et Henri II (peu leur importe que le second livre du roman ait paru quand ce dernier prince avait douze ans à peine). Panurge, c’est le cardinal d’Amboise ou bien celui de Lorraine ; la Sibylle de Panzoust, « une dame de la Cour ; » le géant Loupgarou, la ville d’Amiens ; et la lanterne de La Rochelle, l’évêque de Maillezais, évidemment… C’est ainsi que se forme peu à peu autour du livre tout un nuage de suppositions et de déductions qui en dérobe le sens ; et l’on ne s’étonnera pas si cette nuée s’épaissit encore au temps du romantisme.

En 1823, paraissait en effet un véritable monument à la gloire de Rabelais : c’est l’ « édition variorum, » en dix volumes in-8, ainsi intitulée parce que chaque chapitre y est précédé d’un « Commentaire historique » où Esmangart et Eloi Johanneau ont recueilli, critiqué, — et considérablement embelli, — les interprétations allégoriques de leurs devanciers. Voici, par exemple, un petit résumé de leur commentaire du chapitre XVI du livre 1er : « Cette jument énorme, monstrueuse, grande comme six éléphants, destinée à servir au géant Gargantua, est Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, maîtresse de François Ier » y lit-on tout d’abord. Si Rabelais la fait venir d’Afrique, pays fertile en monstres, c’est « pour nous donner à connaître quel étoit le caractère de cette femme. » À vrai dire, maître François conte qu’elle fut envoyée à Gargantua par Fayolles, quart roy, c’est-à-dire tétrarque de Numidie, et cela ne laisse pas de troubler un peu le commentateur, à qui « Brantôme,