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en recevoir l’encouragement, très précieux, de celle qui l’a formée et dont on a trop peu parlé jusqu’à présent en parlant de lui, je veux dire de la Provence.

En 1903, quand le jeune et grand poète allait entrer à l’Académie française, où notre cher maître Joseph Bédier va prononcer de lui le plus bel éloge, je m’étais présenté à lui par une fiction poétique comme le délégué de « l’Académie des Pins de la Comté de Provence[1]. » Il avait souri à cette imagination, qu’il avait aimée ; je lui apportais le salut des ramures, des eaux, des lignes, des couleurs qui avaient pénétré dès l’enfance dans ses yeux et dans son âme, celui d’un vieux mur moussu qu’il avait peut-être transporté dans les Romanesques, celui d’un puits antique dont l’eau limpide avait peut-être coulé dans les vers de la Samaritaine ; je lui disais comment la Provence, sœur de la Gascogne, pouvait applaudir aux vers généreux et lumineux de Cyrano.

Ce que mon instinct me dictait alors pour être mis en vers plus ingénieux peut-être que persuasifs, je voudrais aujourd’hui, faisant appel à la raison critique, le démontrer en prose. Aussi bien, tout le développement ultérieur de l’œuvre de Rostand après cette date a confirmé cette vue de mon esprit d’adolescent. Chantecler, la deuxième édition des Musardises, le Vol de la Marseillaise ont définitivement classé Edmond Rostand comme un poète du Midi.


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Le premier grand poète du Midi, pourrais-je dire, en langue française tout au moins. Et qu’il ait été ce premier grand poète, cela peut sembler étonnant, si l’on songe que le Languedoc, la Gascogne, la Provence elle-même ont de longs siècles de vie française ; la chose, si l’on y réfléchit quelque peu, semble pourtant moins surprenante. Récemment une revue posait, de façon un peu narquoise peut-être, cette question, qui a fait couler beaucoup d’encre au Sud de la Loire : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands poètes dans le Midi ? » La réponse est aisée : jusqu’au XIXe siècle, les pays de langue d’Oc ont été pratiquement et moralement si éloignés de Paris qu’un jeune homme, même bien doué, y était mal encouragé à tenter une

  1. V. le Chemin blanc, Fasquelle, 1904.