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On a beaucoup agité la question de savoir quelle influence la guerre aurait sur la littérature française : c’est un problème actuellement insoluble.

La guerre, après avoir suspendu d’abord l’activité littéraire, lui a fourni, dès 1915, une excitation puissante, et des sujets variés autant qu’émouvants. Mais chaque écrivain a écrit ses livres de guerre d’après sa formule d’avant-guerre. Il a coulé l’inspiration que la crise de la patrie et de l’humanité lui apportait, dans ses moules habituels. On conçoit d’ailleurs que la guerre renouvelle les pensées des hommes, leurs conceptions du monde, de la vie, des rapports humains, de Dieu même, plus aisément que les procédés littéraires. La création d’une technique nouvelle ne peut en être qu’un effet indirect, qui résultera du renouvellement préalable des idées et des sensibilités. Le renouvellement même des idées et des sensibilités ne s’est pas fait pendant la guerre et ne peut pas se faire tout de suite après la guerre. Car toutes les générations arrivées à maturité sont fixées dans leurs types, et le cataclysme mondial les détruit plus facilement qu’il ne les change. La guerre a exalté dans des sens divers les écrivains qui étaient dans la force de l’âge ; elle ne les a pas transformés. Ce sont les soldats de vingt ans, que le destin a pris et pétris dans les années décisives où l’homme s’achève ; ce sont les adolescents indécis, qui recevaient dans leurs lycées et leurs familles l’empreinte de cette terrible époque ; ce sont, enfin, les enfants de la guerre, nés de parents dont les événements tendaient à l’excès les nerfs, et secouaient violemment tout l’organisme physique et moral : ce sont ces générations-là, qui n’entreront en scène que dans dix, quinze ou trente ans, qui nous apprendront si les années 1914-1918 auront une répercussion décisive sur la littérature française, sur l’inspiration et la forme des œuvres. Jusqu’ici, rien de net, d’évident n’a été enregistré ; la littérature a continué de marcher dans toutes les routes qu’elle connaissait avant 1914. Tout ce qu’on peut dire, c’est que ses allures ont peut-être été plus vives et plus agitées. Toutes les inspirations ont été portées par la guerre au paroxysme : l’inspiration patriotique et nationaliste, l’inspiration internationaliste, humanitaire et pacifiste ; mais aussi, par réaction contre l’une et l’autre, la dévotion inhumaine à la beauté seule, qui fait de l’indifférence aux passions nationales ou sociales le devoir