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Villenoix a sans doute détruit les véritables lettres qui lui furent adressées, fastes éloquents du délire qu’elle causa. La première de ces lettres, qui était évidemment ce qu’on nomme un brouillon, attestait, par sa forme et par son ampleur, ces hésitations, ces troubles du cœur, ces craintes sans nombre éveillées par ’envie de plaire, ces changements d’expression et ces incertitudes entre toutes les pensées qui assaillent un jeune homme écrivant sa première lettre d’amour : lettre dont on se souvient toujours, dont chaque phrase est le fruit d’une rêverie, dont chaque mot excite de longues contemplations, où le sentiment le plus effréné de tous comprend la nécessité des tournures les plus modestes, et, comme un géant qui se courbe pour entrer dans une chaumière, se fait humble et petit pour ne pas effrayer une âme de jeune fille. Jamais antiquaire n’a manié des palimpsestes avec plus de respect que je n’en eus à étudier, à reconstruire ces monuments mutilés d’une souffrance et d’une joie si sacrée pour ceux qui ont connu la même souffrance et la même joie. »

Les dates proposées par les éditeurs, pour les lettres qui n’en portaient pas, ont été imprimées entre crochets.

Les notes explicatives qui accompagnent le texte des lettres sont dues à MM. Hanotaux et Vicaire, sauf quelques-unes signées S. L. qui doivent être attribuées au vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.


LETTRES DE BALZAC

(BROUILLONS)

I

[Villeparisis, 1822.]

Vous êtes malheureuse, je le sais, mais vous avez dans l’âme des richesses qui vous sont inconnues, et qui peuvent encore vous rattacher à l’existence.

Quand vous m’êtes apparue, ce fut avec cette grâce qui environne tous les êtres dont l’infortune vient du cœur, j’aime d’avance ceux qui souffrent. Ainsi, pour moi, votre mélancolie fut un charme, vos malheurs un attrait, et, du moment que vous avez déployé les agréments de votre esprit, toutes mes pensées se sont involontairement rattachées aux deux souvenirs que j’ai conservés de vous.

Depuis le temps de ma séparation, vous écrirais-je, n’écrirais-je pas, telle a été l’histoire fidèle de mes idées, l’objet de toutes