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mes méditations, et, si je vous dis qu’il y a longtemps que je ne vous vois plus des yeux, vous serez surprise qu’une jeune âme ordinairement remplie de sentiments présomptueux, ait pu concevoir, garder et nourrir une passion, sans chercher plutôt à l’embellir des trésors de l’espérance. Mais tel je suis et tel je serai toujours, timide à l’excès, amoureux jusqu’au délire, et chaste au point de n’oser dire : j’aime. Il entre bien dans cette chasteté, dans cette pudeur de sentiment toute la crainte et la honte que me causent les refus. Aussi, n’en ai-je jamais essuyé, puisque je ne m’y suis jamais exposé et c’est aujourd’hui pour la première fois que je me hasarde à dépeindre ce que je ressens.

Oui, Madame, je l’ose, mais ce n’est pas sans m’être retiré dans le dernier espace que ma raison s’est conservé pour y calculer toutes les conséquences de cette lettre.

Ne croyez donc pas que j’ignore la moindre des pensées que vous aurez en la lisant, si toutefois vous la lisez. D’abord, vous y verrez la matière d’une des meilleures railleries qui soit au monde, ou un amusement tel que le comporte votre genre d’esprit. L’ironie, les plaisanteries ne manqueront pas, et elles seront d’autant plus sardoniques et piquantes que l’auteur de l’épitre est inconnu, c’est-à-dire que la considération qui devrait lui valoir voire silence et votre protection sera la raison suprême et l’absolution de vos moqueries. Restera à savoir si je n’ai pas pris mes précautions.

Qu’ai-je dit! Ce mot peut-être va vous inquiéter, et vous chercherez à l’expliquer en regardant en arrière sur le chemin que vous avez déjà parcouru dans la vie. Ah ! rassurez-vous, Madame, je vous jure que ce qui dicte cette lettre est un des sentiments les plus purs que le cœur d’un [être de] 20 ans ait jamais enfanté, un sentiment qui, j’ai l’orgueil de le croire, vous serait agréable, si vous voulez en connaître l’étendue.

Ainsi sachez, Madame, que cette lettre n’est point un jeu, c’est l’expression franche d’une jeune âme, qui se trouve dans la même position que vous. Elle est gaie, parfois elle s’abandonne à la mélancolie, et c’est dans un de ces moments où tout semble peine qu’elle s’est adressée à vous pour vous faire la confidente de ses pensées dont vous êtes le centre.

Vous êtes triste, et souvent dans la solitude; cette lettre vous donnera, je pense, un instant de distraction et, à votre