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et magique ; je ne vois que le banc, je ne sens que la douce pression, et les fleurs qui sont devant moi, toutes desséchées qu’elles soient, conservent une odeur enivrante.

Tu témoignes des craintes et tu les exprimes d’un ton déchirant pour mon cœur. Hélas ! je suis sûr maintenant de ce que je jurais, car tes baisers n’ont rien changé… Oh ! si, je suis changé, je t’aime à la folie !


X

[Villeparisis,… 1822.]

Ma pauvre maman,

La joie que j’avais en vous quittant était une joie affectée. Aussitôt que je vous ai perdue de vue, la tristesse m’a envahi, et j’ai regagné le banc chéri, où je suis resté une grosse heure, veuf, passif, morose. Heureusement que vous ne m’avez pas vu.

Il faut que ce chagrin soit quelque chose de réel, puisque le souvenir de tes tendres caresses ne l’allège pas. En rentrant, cette pauvre Commin[1] riait à gorge déployée, en lisant Jean-Louis, et me dit avec son franc sourire :

— Ah ! monsieur, ce livre est bien amusant.

En tout autre moment, ce mot m’aurait ému autant à cause du plaisir que je procurais à un être qui joue sur le bord de la tombe, que comme jouissance d’amour-propre. Mon cœur était comme moi. Tout avait un aspect décoloré, terne. Le sourire de bonne ma[man] m’a déplu, la voix de mon père n’avait plus d’attrait, et j’ai lu le journal les larmes dans les yeux.


XI

[Villeparisis, 9 mai 1822.]

Oui, Laure, je ne partirai d’ici que jeudi soir [16 mai], ce serait par trop cruel de se refuser à revoir le banc pour la dernière fois. Mais j’espère que mercredi soir je te verrai à ton retour de Paris et que je te reconduirai.

Hélas ! il est une prière que j’ose faire, si toutefois elle est facile à exaucer. Dimanche 12 [mai], ma mère ne sera plus à Paris, j’y reste seul, c’est la surveille de mon départ. Sous le prétexte défaire sortir tes enfants, enfin que sais-je ? ne

  1. La mère Commin, l’Iris messagère de Balzac à sa sœur (voir la correspondance), qui lui portait les lettres de sa famille, en 1819-1820, rue Lesdiguières. S. L.