Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adieu, Didi, on t’aime quand même, on t’aime avec tes colères, avec tes miriades (sic) de caprices, avec tes manques d’usage, avec toutes tes imperfections qu’on aime elles-mêmes, heureuse d’avoir à te les pardonner pour que tu en pardonnes d’autres. On t’aime malgré la corde qui te manque, mais on t’adore pour toutes celles qui font vibrer ton gentil cœur et ta belle âme. Adieu, toi[1].


II

[Lundi,] 18 [juin 1832,] Bazarnes[2].

A toi mon premier mot, ami cher, comme à toi les premières pensées de mon réveil. Après avoir passé trente-trois heures dans d’horribles voitures, car la diligence même, par suite d’un accident, touchait sur la caisse d’une manière infernale, je suis arrivée sans trop de fatigue chez le général qui m’a reçue avec tant de plaisir, une cordialité si vraie, une sensibilité si profonde, que j’en ai été touchée aux larmes. Je suis ici aussi bien que je puis être maintenant quelque part, l’habitation est charmante, un château féodal, pas assez ancien pour que les distributions intérieures en soient incommodes, et assez cependant pour avoir une sorte de majesté qu’on a trop négligée dans nos jolies maisonnettes d’aujourd’hui. De chaque côté du bâtiment, qui n’est élevé que d’un beau rez-de-chaussée, très élevé lui-même, se trouvent deux tourelles d’une belle dimension, et tu sais si j’aime les tourelles; une chambre spacieuse, pas trop cependant, décorée tout à neuf, meublée très proprement, ornée même d’un tapis, et se trouvant à l’un des bouts du bâtiment pour que le bruit n’y arrive pas, est la chambre qu’occupe ta Didi; ……………………….. l’anti-chambre de ma chambre descend sur une jolie terrasse pleine de fleurs, mes fenêtres donnent sur des vergers qui embaument. Enfin, chéri, je suis si bien, en comparaison de l’idée que je m’étais faite de mon séjour ici, que je

  1. Sur une copie de cette lettre, le vicomte de Lovenjoul a ajouté, de sa main, l’adresse : rue de Cassini, à Paris. Balzac a habité la rue Cassini du 1er janvier 1828 à 1835.
  2. Le château de Bazarnes était situé dans la commune de Courcelles, canton de Varzy, arrondissement de Clamecy. Il appartenait au général Allix.