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l’user ; puis il n’y aura plus rien, que je croirai y retrouver encore l’empreinte de tes lèvres adorées, illusion et toujours illusions !

— Je suis ici très libre ; la nourriture y est saine, le pays riche en culture, enfin, si tu y étais, je croirais au paradis.

— Chéri ! j’ai apporté les Scènes[1]selon tes ordres, j’en ai prêté un volume à la petite Cornélie[2] ; son père s’en est emparé et ne l’a pas quitté sans l’avoir fini. Ce matin nous avons, lui et moi, beaucoup causé sur toi ; et il a fini par me dire cette phrase, qui m’a fait trouver sa voix la plus douce possible : « S’il veut venir ici passer quelque temps avec vous, je lui donnerai sur la vie de Bonaparte tous les renseignements nécessaires pour faire un roman politique, qui, sous sa plume, serait du plus haut intérêt, et pourrait initier les femmes même aux secrets d’une haute politique ! » Ami, je t’ai déjà vu là, travaillant près de moi, puis quelques réflexions sont venues chasser ce doux espoir.

Peut-être ne te trouverais-tu pas bien ici : tu es devenu dans la vie ordinaire bien difficile ! et je souffrirais beaucoup, soit que tu te trouvasses mal, soit que les exigences de ta vie de poète mécontentassent ces braves gens.

Peut-être aussi dans la circonstance de famille où je me trouve, ne dois-je pas me permettre le bonheur de t’avoir ici. Que dis-tu de tout cela ? Toi qui t’es montré si sage dans ta dernière lettre, prononce, maître à moi, et comme toujours fiat volontas tua. Allons à la besogne des Contes Bruns pour te les envoyer. Mille becs là… Pour le tien, il y est, reprends-le et envoie m’en toujours un dans tes lettres, mais dépose-le tout de bon. Adieu, toi.


Mercredi [, 20 juin 1832.]

Je t’envoie mes corrections : pourvu qu’elles n’arrivent pas trop tard. J’ai vu hier dans le journal certaines arrestations qui m’ont beaucoup occupée[3]. M. de Ch…[4]ne sera pas fâché, je crois, de cette circonstance qui lui donne une importance

  1. Scènes de la vie privée, par M. de Balzac, 2e édition. Paris, librairie Mame-Delaunay, rue Guénégaud, n° 25, 1832. 4 vol. in-8.
  2. Fille du général Allix.
  3. Voir le Rénovateur du 23 juin 1832, pp. 32-38, au sujet de l’arrestation de MM. le duc de Fitz-James, de Chateaubriand et Hyde de Neuville.
  4. M. de Chateaubriand.