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littérature de la Renaissance, une tentative assez grossière. Ils se vantaient de commencer et de mener à la perfection l’idée d’une vie élégante. Ils n’aimaient point la nature, au sens où prennent ce mot les philosophes de la nature. Et comment l’auraient-ils aimée, quand ils reprochaient à leurs prédécesseurs de ne s’en être point dégagés, quand ils s’efforçaient de substituer à elle un art de vivre ? et ils s’écartaient de la nature à un tel point que, tardivement, une jeune école dut réagir contre l’erreur où l’on était allé : ce fut l’avertissement que donnèrent Molière et Boileau. Certains critiques en ont inféré que Boileau méritait le nom de réaliste : ces étiquettes sont extrêmement trompeuses.

La préciosité enchanta, pendant les deux premiers tiers du Grand siècle, toutes les personnes les plus distinguées. L’Astrée est assez charmante ; ou, si l’on a juré d’être sincère, on avoue qu’on peut lire de temps en temps quelques pages de ce roman très ennuyeux. Les romans qui dérivent de l’Astrée demandent plus de patience et une pénible patience. Ah ! Gomberville n’est pas drôle, ni La Calprenède ! M. de Planhol appelle Polexandre, Cléopâtre et Cythérée des livres, dit-il, « assez amusants, » et, ajoute-t-il, « plus amusants que Monte-Cristo. » Je ne m’amuse guère au vieux Dumas : Gomberville m’assomme, et La Calprenède. Quant à l’hôtel de Rambouillet, je n’y vais pas sans chagrin. Sa Julie enguirlandée est fastidieuse ; puis elle épouse Montausier : alors ce couple d’une pimbêche et d’un puritain devient la complaisance même pour les jolies amies du roi. Une excellente précieuse est Mlle de Scudéry : l’insupportable fille !

M. de Planhol lit comme suit la carte du Tendre : « Trois voies mènent des confins de Nouvelle-Amitié au pays du Tendre, celle d’Inclination, celle d’Estime, celle de Reconnaissance. La rivière d’Inclination va si vite que ses bords ne sont marqués par aucune étape. La route d’Estime passe au contraire par plusieurs villages, Grand esprit, Jolis vers, Billet galant, Grand cœur, Bonté ; et la route de Reconnaissance, par Soumission, Petits soins, Grands services, Sensibilité, Constante amitié. Le pèlerin d’amour doit prendre garde et ne pas dévier de son itinéraire : il risque de s’égarer, par Négligence et Oubli, jusqu’au lac d’Indifférence, ou par Indiscrétion et Méchanceté, jusqu’à la mer d’Inimitié. Enfin, la rivière Inclination se jette dans la Mer dangereuse, au-delà de laquelle on entrevoit des terres inconnues. » Très indulgent aux précieuses, Victor Cousin voulait qu’on prit la carte du Tendre pour un jeu auquel se serait divertie la romancière de Clélie ; M. de Planhol a raison de la prendre