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couplets du début), mais sur ce ton, qui n’appartient qu’à Mozart, où se mêle à la tendresse heureuse je ne sais quelle mélancolie. Ici pourtant, comme partout ailleurs, le dernier mot reste à la joie, à cette pure et calme félicité de l’âme dont Mozart, encore une fois, le seul Mozart, a fait son royaume. Remercions-le, bénissons-le de nous y introduire. Beethoven, l’humain, le surhumain Beethoven, promettait à celui qui sentirait pleinement sa musique la délivrance de toute misère. Le divin Mozart aussi, par des moyens plus doux, nous affranchit et nous sauve. L’autre soir, en l’écoutant, nous trouvions qu’un écrivain, un philosophe, un homme du Nord pourtant, a bien raison d’écrire : « Vous pouvez jouer dans la vie aussi innocemment qu’un enfant autour du lit d’un mort, et ce n’est pas les pleurs qui sont indispensables. Les sourires aussi bien que les larmes ouvrent les portes de l’autre monde[1]. »


L’Ascanio de M. Camille Saint-Saëns fait encore, après trente et un ans, honneur au vieux maître. Plutôt qu’un « grand opéra, » c’est un opéra de demi-caractère, un opéra « très distingué, » dirions-nous, si le mot l’était davantage; une fine tapisserie sur un gros, très gros canevas, l’une étant la musique et l’autre le drame, ou même le mélodrame. Ne cherchez dans cette musique ni la puissance, ni l’émotion, mais le goût, l’habileté, l’intelligence, l’esprit, et presque à chaque instant, sous des formes diverses, tout cela vous sera donné. Oui, même sous la forme du leitmotif. Des thèmes caractéristiques reviennent au cours de l’ouvrage, non seulement rappelés, mais variés, nuancés, altérés, renversés, que sais-je ! avec une ingéniosité, presque une rouerie wagnérienne. Ajoutons que le travail est ici d’une grâce, d’une légèreté toute française. Leitmotif à part, cette musique abonde en détails précieux. Au premier acte, l’essai d’un bracelet, passé par Ascanio, l’élève de Cellini, au bras de la duchesse d’Étampes, est une chose délicieuse, une sorte de petit bibelot musical digne de celui que pouvait être le bijou. Acte troisième : le duo de la duchesse avec Ascanio toujours est également, comme disent les chroniqueurs mondains, a d’une suprême élégance. »

En tout ici M. Saint-Saëns pourvoit à notre agrément avec discrétion, et c’est par-là qu’il l’assure. Comme disait, — à peu près, — un ancien, il ne sème pas à plein sac, mais d’une main légère. Nulle

  1. M. Maurice Mœterlinck, le Trésor des humbles.