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puissance de vision et de description, il la trouve là encore « excessive. »

Car Zola et d’Urfé, d’après le jeune critique, ont un « point commun en provençalisme, » et c’est « la longueur, l’abondance immodérée des détails, » « le bavardage méridional, » en tout cas « la puissance de description très sensible chez l’un comme chez l’autre, » et dont Rostand donnait chez d’Urfé des exemples curieux et tout à fait inattendus, qui témoignaient d’un lecteur très attentif et très averti :


Nous cherchions, concluait-il, quel caractère commun pourrait trahir en ces deux Provençaux leur pareille origine : pourquoi ne pas nous arrêtera ce goût très vif qu’ils ont tous deux de dépeindre, d’énumérer longuement, à cette habitude bien provençale de faire tout voir à celui à qui on raconte, de n’omettre rien ? Notre amour du pittoresque se révèle dans ces paysages vivement brossés, enlevés de verve. Et ne pouvons-nous pas reconnaître notre prolixité, notre bavardage légendaire, dans les interminables pages de description ennuyeuse, infatigable, vide ?


Et pour achever son étude, Edmond Rostand souhaitait des romanciers qui eussent le « sens du réel, » qui fussent habiles à observer impartialement et peindre exactement, sans « voir trop en beau ou on fin comme d’Urfé, ni trop en laid et en grossier comme Zola ; » mais il se demandait en terminant :


De ces maîtres du premier ordre dans l’art ingénieux, exquis, du roman, maîtres par la mesure, par l’équilibre, comme par le génie, par l’art de concilier l’idéal avec l’observation et la vérité humaine, notre Provence passionnée, excessive, en produira-t-elle jamais ?

Que l’avenir lui réserve ou non cette gloire, elle a celle d’avoir vu deux Provençaux porter au plus haut point d’éclat les deux formes opposées et extrêmes d’un genre littéraire excellemment français.


Et tout cela était daté « février-avril 1887. » C’était donc l’œuvre d’un critique qui n’avait pas encore dix-neuf ans ; il s’annonçait lui aussi « du premier ordre, » s’il avait voulu devenir tel ; mais si, poète avant tout, il allait abandonner le genre littéraire où il semblait devoir réussir, de cette première étude il rapportait la connaissance intime de cette atmosphère « précieuse, » où il devait rencontrer le sujet, qui, dix ans plus tard, allait le rendre célèbre. Sera-ce de « l’exagération méridionale » que de reporter ce succès à l’initiative heureuse