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de l’Académie de Marseille, à la Provence, à son soleil qui désormais illuminera son œuvre, des Romanesques à Chantecler ?

Tirer ces pages d’Edmond Rostand, comme on se propose de le faire sous peu, des quelques rares bibliothèques provençales où elles étaient confinées, sans que nul s’inquiétât de les relire, ce n’est point simple curiosité de bibliophile ; à nous pencher sur de telles pages, nous surprenons à sa source même le génie d’Edmond Rostand. C’est dans un jardin de Provence, qui serait semblable à ceux de l’Astrée, le murmure d’une fontaine, où viennent se mirer des jeunes gens romanesques. Voici, en raccourci, soumises au jugement de l’Académie de Marseille, toutes ces brillantes qualités qui, dans un soir de. décembre 1897, vont éblouir Paris : la fantaisie joyeuse et déjà par instants étincelante, le goût du subtil, du rare, du gracieux, la sentimentalité tendre, un peu d’ironie juvénile sans insolence ni méchanceté, un jolis cliquetis de phrases et de mots-Voici surtout l’évocation de tout ce XVIIe siècle à son début, tel que l’ont fait l’Astrée et l’Hôtel de Rambouillet, ce monde charmant, qui, dix ans après, entrera dans la figuration de Cyrano ou dans les rêves de cette Précieuse, dont le poète racontera la journée. Voici enfin ce grand amour de la lumière qui, depuis les Musardises, gonflera l’âme de ce charmant lazzarone jusqu’à les faire éclater dans les appels passionnés de Chantecler.

Oui, très jeune, ce poète est déjà lui-même, et de là vient que, s’étant trouvé ainsi dès l’aube de sa vie, il s’est imposé au public dès son aurore. On conserve dans sa famille un portrait de son enfance, dû à un peintre marseillais, où déjà les traits essentiels de sa physionomie sont dessinés. De même en est-il pour sa physionomie intellectuelle : on peut dire qu’à dix-huit ans il est déjà ce qu’il sera plus tard, il a déjà dans son esprit précoce toutes les qualités de sa poésie, et cette poésie, c’est la Provence qui, de bonne heure, lui en a donné le sentiment, qu’il révèle ainsi, net et charmant, dès son premier essai.

Tel quel, cet ouvrage est couronné par l’Académie de Marseille, comme il sied au travail d’un jeune homme distingué, qui est en même temps le fils d’un académicien. Mais si honorable que soit un tel succès, il n’est point pour lui assurer la gloire dont il rêve à Paris[1].

  1. Le Mémoire sur Honoré d’Urfé et Emile Zola a paru en 1888, dans le Journal de Marseille, que dirigeait Eugène Rostand, puis en tirage à part. Retrouvé à Marseille par M. Auguste Roodel, le bibliophile bien connu, il sera réédité sous peu en brochure de luxe, par l’éditeur Ed. Champion, avec une préface de l’auteur de cet article.