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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/815

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Les premières discussions s’élevèrent au sujet du programme même. Allait-on réellement présenter au public tout l’œuvre de Molière, ou donnerait-on seulement les quinze ou seize pièces, que l’on peut toujours, en quelques « raccords, » mettre sur pied, et auxquelles on ajouterait une ou deux « reprises, » préparées et montées avec soin ? Le seul fait de grouper ainsi ces pièces, de les faire défiler sur la scène, en un laps de temps relativement court (quatre ou cinq semaines ;), aurait constitué déjà un hommage éclatant à Molière, et suffi à donner une idée totale et précise de son génie. Pour l’éducation même du public, c’est une chose de lui montrer, séparés par un long espace de temps, les chefs-d’œuvre d’un auteur, et c’en est une toute différente de les lui montrer serrés les uns aux autres, se complétant, s’expliquant, s’éclairant mutuellement : l’ensemble prend ainsi un aspect autrement imposant et significatif.

Mais j’objectai que le troisième centenaire de Molière offrait une occasion unique et qu’il fallait saisir, pour tirer de l’oubli où ils étaient tombés, peut-être injustement, certains ouvrages, pour vérifier si certains autres n’avaient pas été à tort bannis de la scène, et si le public d’aujourd’hui ne trouverait pas de l’agrément à l’audition de ces œuvres déclarées ennuyeuses par le public de jadis. Était-il concevable que depuis un demi-siècle Don Juan n’eut pas reparu sur l’affiche ? que la Critique de l’École des Femmes n’y ait paru que deux fois, depuis 1877, Sganarelle deux fois, depuis 1887, le Sicilien six fois depuis 1864 ; qu’on n’y ait point vu l’Amour médecin, depuis vingt-huit ans, et, depuis trente ans, les Fâcheux ? Sans doute il y avait gros à parier que lorsqu’on mettrait à la scène ces mêmes Fâcheux ou l’Impromptu de Versailles, par exemple, certains critiques ne manqueraient pas de rappeler que ce ne sont pas là des chefs-d’œuvre authentiques (qui ne le sait ?) et de dire que tout le temps consacré par la Comédie aux répétitions de ces pièces, était, à proprement parler, du temps perdu. Mais il parut que ces ouvrages n’étaient point aussi négligeables qu’on l’affirme communément. Outre que le premier marque une date importante dans la carrière de Molière, il présente, à côté de morceaux qui témoignent de la hâte avec lequel l’auteur les écrivit, des scènes étincelantes (celle du joueur, celle du chasseur) que les lettrés admirent et qui