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perdre un homme ni un canon, et c’est en cela qu’elle diffère de l’art militaire, qui, lui, gagne brillamment des batailles et les achève par la déroute de l’ennemi. Autrement dit, la science militaire pure est une conservation et l’art militaire est une innovation.

Il faut que le tacticien et le stratège sachent faire une exégèse des différentes vérités auxquelles les historiens militaires ont conclu à la dernière page de leurs études. Certaines de ces vérités apparaissent comme immortelles, les autres comme momentanées. Le tout est de distinguer entre les deux. Les unes, en effet, sont les principes, les autres sont les procédés dont nous parlions plus haut.

Ceci posé, nous devons nous demander si une guerre future doit nécessairement être la même que celle d’hier et si des changements plus radicaux encore doivent être apportés aux conceptions tactiques ou stratégiques, dans le domaine militaire et naval.

Sommes-nous sûrs que la marche des pions du gigantesque échiquier obéira aux mêmes lois qu’hier? Verrons-nous encore la lutte de l’artillerie, la préparation du terrain par l’obus, l’attaque d’infanterie? Verrons-nous cette même infanterie organiser les positions conquises comme il y a cinq ans, et le cycle de l’offensive méthodique se dérouler ainsi périodiquement?

Ceux qui ont fait la dernière guerre répondent oui; ils font allusion à une vérité qui, en effet, semble immuable depuis le commencement des guerres : « L’infanterie est la reine des batailles, elle seule peut les gagner. » C’est indéniable dans le système de guerre actuel.

Et dans le domaine naval? Verrons-nous la suprématie maritime échoir au parti qui possédera les plus gros et les plus cuirassés des navires, ou, au contraire, à celui qui comptera le plus de sous-marins et le plus d’avions? Les marins ont répondu en toute bonne foi : « Celui-là seul peut être victorieux sur mer qui dispose de navires fortement cuirassés, et puissamment armés de gros canons. » Bien que ce soit moins facile à affirmer depuis la dernière guerre, et que lord Fisher, sir Percy Scott et quelques autres esprits entreprenants aient dénoncé la faillite du cuirassé, on ne peut incriminer les dirigeants des affaires navales de rester fidèles aux conceptions qu’on leur avait enseignées dans les écoles et de répondre : « Oui, le