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essayé de talents naissants avorte au bout de quelques jours. Il n’y avait d’études politiques que parmi nos anciens amis qui sont devenus mes ennemis, c’est-à-dire les soutiens et les favoris du gouvernement actuel. Partout ailleurs, je ne trouve aucun fonds et même presque pas d’esprit politique. Votre gouvernement du 7 août a fait dans les deux ou trois générations qui avaient mûri sous l’Empire et la Restauration une moisson si complète qu’il ne reste plus rien à ramasser après lui. Il faut attendre un autre printemps. J’ai cependant encore d’excellents collaborateurs, mais pour la littérature exclusivement. Le bon et solide Ampère qui fait, comme vous savez, un cours très savant ; Peysse, que je promène mourant en Italie et qui est pour moi le meilleur prosateur de ce temps-ci après vous ; Nisard, transfuge du Journal des Débats, qui fait notre Salon cette année et a qui vous avez dû trouver beaucoup d’esprit et d’élégance de langage, si vous vous êtes fait lire ses articles littéraires, signés de l’initiale N ; Sainte-Beuve, qui nous a donné récemment sur les Mémoires de Jefferson deux articles dans l’ancienne manière ou plutôt manie des élèves de Dubois, et pourtant pleins de très belles choses, surtout d’appréciations morales du caractère politique américain, toutes d’une vérité, suivant moi, profonde et très difficile à exprimer. Voilà mon personnel littéraire ; je serais bien riche si tous ces hommes-là voulaient faire de la politique. J’oublie Magnien qui malheureusement est très occupé aujourd’hui à la Bibliothèque Royale et qui me donnait l’an dernier de bien bons articles semi-politiques, semi-historiques. Après cela, mon meilleur collaborateur est mon financier Péreire dont peut-être on vous aura lu les articles sur l’amortissement, articles qui ont eu la plus grande influence sur les discussions de cette année. Je suis seul à peu près pour le reste et je n’ai pas encore repris la plume depuis mon accident.

« J’attends de Paulin une note sur vos titres à l’Académie et j’espère vous prouver que je ne vous oublie pas. Je sais, mon cher Thierry, tout ce que je dois, dans le peu de succès que j’ai obtenu, à la fraternelle et sérieuse initiation que j’ai reçue de vous. J’espère que vous avez oublié les petites susceptibilités d’amour-propre avec lesquelles je me présentai dans la carrière et qui tenaient aux habitudes de la vie bruyante et aventureuse que j’avais menée jusque-là. Je sentais déjà cependant