Toute insistance, au surplus, devint inutile, lorsqu’il eut été décidé que la vacance appartiendrait à la section de morale, et ce fut une déception nouvelle pour l’historien ainsi évincé.
Suivant la règle immuable de sa vie, c’est au travail qu’il demandait la consolation de ses chagrins. Nous savons qu’après deux ans d’inutiles recherches, il avait dû abandonner son grand dessein : tracer le récit des invasions germaniques. C’était une « résolution de désespoir » et qui le désolait d’autant plus qu’à son avis l’histoire glissait alors sur une pente funeste.
Les tendances manifestées par Michelet, dans l’Histoire romaine d’abord, puis dans les deux premiers volumes de l’Histoire de France, ces théories renouvelées de Herder, Grimm et Vico, demandant à l’histoire non plus le récit d’un drame ou la connaissance d’une époque, mais de « retrouver, à travers les faits, la lutte éternelle des idées et des principes, » substituant au « fatalisme des races » l’énergie autogène de la nation et l’influence du sol, inquiétaient sa certitude et lui semblaient menacer son œuvre. Il s’indigna de voir transformer en luttes de symboles ses beaux récits concrets et humains de la Conquête. Sa clairvoyance aperçut le danger : l’histoire jetée hors de ses voies, passant du domaine de l’analyse et de l’observation exacte dans celui des exagérations synthétiques, et bientôt il condamnera «cette méthode venue d’Allemagne, qui voit dans chaque fait le signe d’une idée et dans le cours des événements humains une perpétuelle psychomachie[1]. »
Se repliant encore une fois sur ses souvenirs, utilisant les livres à sa portée, compulsant Grégoire de Tours, Venantius Fortunatus et Adrien de Valois, il résolut de raconter dans une série de tableaux enchaînés les uns aux autres, avec tous les détails de mœurs et de caractères qu’il y pourrait enfermer, la fin tragique du VIe siècle, ensanglantée par la lutte de Frédégonde et de Brunehaut. « Je ne puis employer un autre moyen, confessait-il à Aug. Trognon, pour retracer un temps comme celui-là, où l’histoire n’a aucun caractère de généralité et se disperse dans les faits privés. »
Dans sa pensée, ce travail devait être une riposte à la fois de doctrine et de méthode à la nouvelle école : de doctrine, car il va surtout s’attacher à mettre en relief l’antagonisme des
- ↑ Considérations sur l’Histoire de France, chap. V.