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de l’Empire du Milieu, du moins des « dix-huit provinces » qui constituent la Chine proprement dite, partage équitable d’influence. Un habile travail diplomatique dans lequel le marquis Ito, M. Motono, M. Isvolsky, M. Gérard, ambassadeur de France à Tokyo[1], eurent la part prépondérante, rapproche la Russie et le Japon, et peu à peu les associe jusqu’à transformer, par le traité secret du 3 juillet 1916, les ennemis de 1905 en amis, associés et alliés. La Grande Guerre les trouvera dans le même camp.

Jusqu’ici, dans la lutte pour le Pacifique, partenaires ou adversaires sont restés les mêmes : Russie et Japon, Américains aux Philippines et dans les entreprises économiques en Chine, Allemands à Kiao-Tcheou, Anglais à Hong-Kong, à Singapore, et dans les Dominions d’Australie, de Nouvelle-Zélande et du Canada ; France par son empire d’Indo-Chine et ses archipels, Hollande dans les îles de la Sonde, Belgique par son activité économique. Mais la guerre élimine deux concurrents. L’Allemagne vaincue perd Kiao-Tchéou et toutes ses possessions du Pacifique ; elle disparait des mers chinoises comme Puissance territoriale. La Russie, en proie à la révolution, se disloque, s’émiette ; la Sibérie se sépare de la Russie bolchevisée ; des pouvoirs éphémères s’y élèvent pour disparaître rapidement. Le champ est libre en Chine pour une grande politique japonaise d’influence et d’expansion. La Chine elle-même, depuis que la révolution a jeté bas le vieil empire millénaire dont l’autorité venait d’En-Haut, n’a pas réussi à retrouver son aplomb ni à se donner un gouvernement stable et vraiment national ; divisée contre elle-même, ses provinces en lutte les unes contre les autres, le Sud plus démocratique dressé contre le Nord plus militaire, elle n’offre à l’emprise étrangère qu’une résistance passive et intermittente. Aucun obstacle sérieux n’arrêterait l’essor de l’influence japonaise, si les intérêts américains ne s’en alarmaient et n’en prenaient ombrage. Etats-Unis contre Japon, c’est la forme actuelle de la lutte pour le Pacifique.

  1. Voyez mon article dans la Revue du 15 juin 1914. Voyez aussi les beaux livres de M. Gérard : Ma Mission en Chine ; Ma Mission au Japon (Plon).