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quand je rentrerai en moi-même, je serai comme un enfant qui revient la nuit dans une chambre où il y a toujours une lumière.

Archer répéta, impatient :

— May est prête à me rendre ma liberté…

— Quoi ! trois jours après que vous êtes allé la supplier à genoux de hâter votre mariage ?

— Elle a refusé, ce qui me donne le droit…

— Le droit ? Vous m’avez appris combien ce mot-là est un vilain mot, dit-elle.

Archer éprouvait une fatigue indicible. C’était comme s’il eût, pendant des heures, fait des efforts surhumains pour remonter la paroi d’un précipice, et qu’au moment d’en atteindre le bord, son étreinte se relâchant, il retombât dans les ténèbres.

S’il avait pu reprendre la jeune femme dans ses bras, il aurait réfuté ses arguments. Mais toute la personne d’Ellen Olenska semblait enveloppée d’une douceur qui la rendait inaccessible : elle le tenait à distance, lui inspirant, par sa sincérité, un sentiment mêlé de crainte et de respect.

Il insista de nouveau :

— Si nous nous sacrifions, ce sera pire pour tout le monde.

— Non, non, non ! cria-t-elle, comme s’il lui faisait peur.

Au même moment, la sonnette de la porte tinta. Ils n’entendirent pas de voiture s’arrêter, et restèrent sans mouvement, les yeux égarés.

Au dehors, le pas rapide de Nastasia traversait le vestibule : la porte d’entrée s’ouvrit, se referma, et, un instant après, la servante parut, portant un télégramme qu’elle remit à la comtesse Olenska.

— La dame a été très heureuse des fleurs, dit Nastasia. Elle a cru que c’était son mari qui les envoyait ; elle a pleuré un peu, disant que c’était une folie.

Sa maîtresse sourit et prit l’enveloppe jaune. Puis, quand Nastasia fut partie, et la porte refermée, elle tendit le télégramme à Archer. Daté de Saint-Augustin, à l’adresse de la comtesse Olenska, il annonçait :

« Télégramme de grand’mère plein succès. Parents acceptent mariage après Pâques. Je télégraphie à Newland. Suis bien heureuse. Vous aime tendrement. Votre reconnaissante

May. »