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zibelines décolorées et leurs hermines jaunies ; une odeur de camphre s’élevait des premiers bancs de l’assistance, étouffant le doux parfum de printemps qui montait des lys autour de l’autel.

Newland Archer, sur un signal du suisse, était sorti de la sacristie, et avait pris place, avec son premier garçon d’honneur, le jeune van der Luyden Newland, sur les marches du chœur : le coupé de la mariée était en vue. Mais il fallait s’attendre encore à d’assez longs préliminaires sous le portail, où les huit demoiselles d’honneur se groupaient déjà en un bouquet d’avril.

C’était la règle : le fiancé devait témoigner de son empressement, en s’exposant ainsi seul aux regards de l’assemblée. Archer se résignait à cette formalité, comme à toutes les autres exigences d’un rite qui semblait venir de la nuit des temps. Il obéissait scrupuleusement aux injonctions agitées de son garçon d’honneur, comme autrefois les mariés qu’il avait dirigés à travers le même labyrinthe, lui avaient obéi à lui-même.

Rien n’était oublié, ni les huit bouquets de lilas blanc et de muguet des demoiselles d’honneur, ni les boutons de manchettes (saphirs à montures d’or) des garçons d’honneur, ni l’épingle de cravate (un œil de chat) choisie pour le jeune van der Luyden Newland. Les offrandes destinées à l’évêque et au pasteur étaient en sécurité dans la poche du premier garçon d’honneur. Le déjeuner devait avoir lieu chez Mrs Manson Mingott. Les bagages d’Archer y avaient été envoyés, ainsi que ses vêtements de voyage, et un compartiment avait été réservé dans le train qui devait emmener les jeunes mariés vers une destination inconnue. Le mystère sur le lieu où devait s’écouler la nuit nuptiale était l’élément le plus sacré du rite immémorial.

— Vous avez la bague ? chuchota van der Luyden Newland tout neuf dans son rôle, et qui semblait écrasé sous le poids de sa responsabilité.

Archer fit le même geste que tous les mariés avaient fait avant lui : de sa main droite dégantée, il s’assura qu’il avait bien dans la poche de son gilet le petit anneau d’or gravé de leurs deux noms : « Newland à May, avril 187… » Puis il se remit en position, son chapeau haut de forme et ses gants gris-perle, soutachés de noir, serrés dans sa main gauche ; et il recommença de surveiller la porte de l’église.

La marche nuptiale de Haendel roulait pompeusement sous les voûtes de stuc, évoquant la vision de tous les mariages aux-