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pas le plus souvent si dédaigneux d’une exacte et humble vérité, parce qu’ils ont l’esprit ambitieux et embrouillé de vanités fort singulières, ils sauraient qu’il y a bien de l’enfantillage dans toutes les âmes et que cet enfantillage détermine beaucoup plus d’événements de toute sorte que ne font les raisonnements et les divers travaux de l’intelligence. Ils ne négligeraient pas cette minutie ou cette frivolité, qui est un peu comique à certains égards, et qui est tragique pourtant, si l’on s’aperçoit que les plus dangereux hasards d’une destinée ont dépendu de ce badinage de l’âme imprudente.

M. Marcel Prévost, qui n’est pas un psychologue dédaigneux, a très joliment peint sa petite Claire et l’aventure où elle s’engage avec la vraie étourderie d’une jeune fille et de tout le monde.

Étourdie, Claire ? Mais sage aussi ! Elle épousera Charles Teyssèdre, qui n’est pas le cavalier séduisant à qui rêvent les jeunes filles. Elle l’épousera de bon cœur, parce qu’elle a été sensible aux mérites de cet homme intelligent, sérieux et qui l’aime ; et parce qu’elle a été sensible à ce que lui disait l’abbé, le conseiller le plus digne de déférence. Elle épousera enfin le fiancé qu’on lui propose, tout simplement parce qu’elle est une jeune fille à qui l’on propose un fiancé. Elle n’est pas une révoltée. Elle suit l’usage qui veut qu’une jeune fille soit obéissante et n’ait pas eu à choisir. A quoi bon discuter la valeur d’un usage si ancien, si naturel et que M. Marcel Prévost fait remonter au temps de Briséis et de Ruth la Moabite ? En somme, c’est ainsi.

Seulement, elle n’aime pas Charles Teyssèdre, son fiancé, puis son mari. Elle a pour lui tous les sentiments les plus amicaux et affectueux. Elle a pour lui de la tendresse. Elle a pour lui tous les sentiments qui ne sont pas au juste l’amour. Et cela est marqué, dans le roman de M. Marcel Prévost, de la manière la plus fine et adroite. Si je disais comment, j’aurais à résumer cent pages du livre, et cent pages si pleines d’une si délicate vérité qu’au lieu de les résumer je les copierais. Un jour cependant, ces deux époux, tête à tête, joue contre joue, ont un moment de rêverie parfaite. Et Claire frissonne à se dire : « Oh ! je l’aime ! je l’aime ! » Elle ne frissonne pas d’amour, mais de la satisfaction de se croire aimante. Ce n’est pas la même chose ; et, en quelque sorte, c’est tout le contraire. Elle voudrait aimer et ne triomphe à l’espérance d’aimer que parce qu’elle n’aime pas. Sa joie est triste comme une illusion difficilement gardée. Cette analyse a une grâce exquise et douloureuse.