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un front de modelé délicat. L’ensemble respirait la santé, le mouvement. Des manières naturelles, expansives, un peu bruyantes, mais toujours une entière possession de soi. Conversation imagée et d’un tour imprévu, d’un ton sérieux, concentré, avec des trouvailles pittoresques. Honnête par tempérament plutôt que par vertu, décidée par instinct plutôt que par raison. Absence totale de préjugés. Jamais découragée et jamais abattue : au contraire, son courage s’exalte dans les parties perdues… Personnelle sans égoïsme, elle se laissait emporter par sa passion et par sa fougue : elle se tirait d’affaire à force d’aplomb et d’audace plutôt que de prudence… Peu portée au respect, elle aimait les vieilles gens, sans s’apercevoir de leur âge. Ardente et dévouée, estimant qu’on ne fait jamais assez pour ce qu’on aime, elle pensait avec Johnson que l’amitié est une chose fragile qui veut des soins continuels. Trop de talents et trop de goûts. Adore le monde, les bêtes, les livres, l’art, le sport. Plutôt « bohème » qu’exclusive, avec la faculté de trouver de l’intérêt à toutes ses connaissances et même à des « raseurs. » Goût passionné, de la Nature. Pas bigote, peu pratiquante, mais une vive religiosité. Du bon sens ; peu influençable. Jalouse, susceptible et fidèle en amour. Aucun esprit de suite : une foule de promesses brillantes, et ne faisant rien de bon. L’oreille musicienne et nulle exécution ; du goût pour le dessin, sans science ni perspective. Esprit critique plus que constructif. À cheval, beaucoup de sang-froid et de décision. Belle amazone, nerfs d’acier et fine cravache. Autodidacte, ambitieuse, indépendante et volontaire. Adorant d’être aimée et admirée des gens (hommes et femmes), et capable d’inspirer cet amour.


La jeune fille de qui l’on traçait (ou qui traçait d’elle-même) l’image qu’on vient de lire et ce curieux « à la manière » de nos anciens moralistes, n’était certainement pas une personne ordinaire. Il est rare qu’une femme fasse si peu de difficultés d’avouer qu’elle n’est point jolie. Il est plus rare encore que, sans être très belle, elle ait joué un rôle et occupé l’attention, comme l’a fait si longtemps l’héroïne de cette étude, dans la société anglaise. Il était dans la destinée de Margaret Tennant de faire beaucoup parler d’elle. Toute jeune, longtemps avant d’être la seconde Mme Asquith, elle avait un cercle, un salon, des amis et des détracteurs ; elle était déjà quelqu’un, et menait dans le monde un train et un éclat singuliers pour une femme, — excepté pour certaines étoiles du théâtre, — et tout à fait étranges pour une jeune fille. « Miss Margot » ou « Margot, » comme on l’appelait le plus souvent, était une des figures connues de toute la ville, une célébrité tapageuse, populaire sur les champs de courses et dans les équipages de chasse, faisant sensation quand elle débouchait sur la piste de Rotten-Row. Elle était même, par ses amis, une manière de puissance politique. Il n’est probablement arrivé à aucune jeune fille de connaître intimement plus de premiers ministres. Cela