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La page est charmante, je l’abrège à regret. Mais quand on l’a finie, et qu’on a fermé le volume, on se demande : pourquoi l’auteur nous raconte-t-il tout cela ? Qu’est-ce que cela peut nous faire ? Pourquoi ? Pourquoi ?

C’est toujours la question qui se pose avec tous les ouvrages de ce genre, depuis leur ancêtre à tous, les Confessions de Rousseau. Pourquoi cette maladie qu’ont les gens de nous conter leurs petites affaires et de nous introduire dans leurs petits secrets ? C’est là ce que je vois de plus significatif dans l’Autobiographie de Mme Margot Asquith, et ce qui, tout pharisaïsme à part, a tant scandalisé le public d’Angleterre. Je n’ai garde de prendre au tragique des étourderies de jeunesse, qui ne sont même pas des peccadilles : je n’ai garde non plus de prendre pour un type ordinaire de la jeune fille anglaise une personne de fortune, d’éducation et de talent exceptionnels. Mais il y avait un pays où la discipline des sentiments, où la réserve de l’expression, où l’austérité de la parole et la pudeur des confidences étaient une partie de la règle morale ; deux siècles de puritanisme et de forte vie bourgeoise avaient dressé des cadres que l’imagination s’interdisait de violer. Il en résultait dans la tenue, dans la physionomie elle-même du pays, un ordre, une dignité qui semblaient être passés dans le sang et faire partie à jamais de la nature anglaise. Est-ce cette discipline qui commence à fléchir ? ces cadres qui viennent à céder ? S’il en était ainsi, le livre de Margot Asquith serait le monument et peut-être le signal d’une révolution profonde dans tout ce que nous savons de la sensibilité anglaise.


LOUIS GILLET.